Minorités| Nouvelle | Debt Fiction

Nouvelle en 6 parties parue dans la revue Minorités.org a partir du Dimanche 24 septembre 2011 et jusqu’au Mercredi 23 novembre 2011

Et Obama entre en scène…

« Regardez-moi ça…

— Putain… Ça me flanque la gerbe…
— George, ça te dit, la négresse en train de chialer sa race, là, avec son gros cul ?

George finit sa bière et lève les yeux vers l’écran. Ce soir, c’est un peu comme quand les White Dragons, l’équipe de base-ball locale dans laquelle il jouait quand il était jeune, perd un match. C’est une défaite intime, avec de la rage et de l’aigreur au fond du ventre.
— La ferme!
— Mais dis quelque chose, George, depuis tout à l’heure, on t’entend pas.
— Tu veux que j’te dise quoi, hein? Que ces enculés de Juifs ont foutu un chimpanzé à la tête de l’État avec l’argent des putains d’Arabes ? Tu le sais aussi bien que moi, alors qu’est-ce que tu veux que je te raconte de plus ?

George se lève et va au comptoir, recommande une bière.
— Mais on va pas se laisser faire comme ça…
— Je comprends pas, moi… Elle était pourtant sympa, la môme Palin, pas chiche, bien, quoi! McCain était un peu vieux, mais c’est un brave type, qu’est-ce qu’y lui trouvent, à ce communiste ? Il est même pas né en Amérique, en plus, à ce qui paraît, et c’est un Arabe, en plus…
— Un coup d’État, les gars, un coup d’État…
— Il paraît qu’ils préparent la loi martiale…
— On sait, tout ça! Pourquoi vous arrêtez pas de causer de ça… Vous me donnez mal à la tête, les gars…

George se rassoit, lève les yeux vers l’écran au-dessus du comptoir. Un homme de couleur tout sourire, une femme de couleur vêtue d’une robe rouge à ses côtés, saluent la foule, innombrable, pendant qu’un commentateur de la chaine Fox Nexs parle d’un moment historique…

Pablo

Pablo avale sa huitième Tequila. « J’aime bien cette meuf, elle est marrante ! »

Il désigne l’écran où parle Rachel Maddow. Keith Olbermann apparait.

— Putain, celui là, par contre, je peux pas le saquer, il se prend pas pour une merde…
— Arrête, Pablo… T’as trop bu!
— Et tu veux que je fasse quoi d’autre, je bosse pas demain…
— Pablo, on avait dit pas ce soir…
— T’es marrant, toi… J’ai plus de taf’, j’ai plus de meuf, et j’ai plus d’appart…
— Arrête ça, s’il te plaît… T’as un appart…
— Non, c’est pas MON appart’… T’appelles ça un appart’, ce truc, arrête! Et cette conne qui m’a plaqué pour aller faire des pornos… J’ai tout paumé, mec!
— Pablo…

Barack Obama prend la parole. Des drapeaux américains s’agitent, les caméras balaient la foule, reviennent sur le président dont la voix résonne dans la chambre de Robert et Melissa. Pablo est assis par terre, à côté du lit, il se met à pleurer.

— J’ai fait un boulot d’enculé, les mecs… Mais merde, on en a toujours chié à la maison… Ces connards à Wall Street, ils ont reçu plus de 700 milliards, et nous on a rien reçu. Je suis fini, et ce qui me fout les boules, c’est que j’arrive même pas à être heureux ce soir alors que putain de merde, j’ai jamais été aussi heureux de ma vie que depuis tout à l’heure. Je l’adore, ce mec, merde, mais moi, je suis fichu…

Melissa s’assoit à côté de Pablo, lui caresse les cheveux, fais signe à Robert d’aller chercher un café dans la cuisine. En sortant, on entend les voix de tous les autres dans le salon, les rires, les verres qui s’entre-choquent. Avec tous ceux qui sont venus ce soir, tous les trois ont fait du porte à porte, Melissa dans le quartier afro-américain, Robert et Paul dans le quartier Portoricain: Paul a la peau très noire, Pablo semble lui très récemment arrivé du Mexique. Cet espèce de duo militant improbable a connu un certain succès dans les quartiers où ils allaient pour encourager les gens à s’inscrire. Les trois derniers mois avaient permis à Pablo d’oublier.

— T’es pas fichu… Tu vas retrouver un boulot. Tu le sais bien, que le sauvetage des banques, c’était surtout pour éviter que ça s’écroule, comme en 1929. Et puis, il a promis de relancer l’économie. Enfin, on ne sait pas trop encore, mais s’il met le paquet, tu verras, ça marchera.
— Ouais, mais moi, c’est maintenant que j’ai besoin de taf. Obama, c’est dans deux mois. Et moi, qu’est ce que je vais faire, pendant ce temps là…
— On est là… Tu sais bien que Robert et moi, on te laissera pas tomber. T’as des économies, t’as trouvé un appart pas cher, t’as le temps de voir venir. Et on t’a dit, si on entend parler d’un truc, on te met dessus. Tu t’en sortiras, t’es jeune, merde…
— Je suis un enculé, vous savez… J’en ai vendu, de ces putain de saloperies, à la fin, on faisait plus que ça.
— Je sais, je sais… Mais c’est bon, t’as compris. Et crois-moi, si c’est à elle que tu penses, elle était pas faite pour toi.

Robert revient avec un café et des tasses, on entend des rires, et puis la porte se referme. À la télévision, les commentateurs n’arrêtent pas d’évoquer Roosevelt, Lincoln et Kennedy.

Sandrine

Sandrine s’est levée très tôt ce matin, elle voulait regarder les résultats de l’élection américaine. Depuis 6 mois qu’elle travaille à Londres, c’est bien la première fois qu’elle se sent un peu heureuse. Elle a été transférée d’urgence au Middle-Office pour travailler sur les CDS. Elle a tout vu. Bear Stearns, Lehman, AIG, mais aussi les problèmes avec UBS dont les équipes, débordées, enchaînent les erreurs de paiement et les retards. Elle a vu aussi ses collègues travaillant sur les swaps de taux Marked-to-Market s’arracher les cheveux: les taux courts se sont envolés, les rendant infiniment plus chers que les taux longs. Certains calculs de taux ont été de vrais casse-têtes, sa banque a perdu pas mal d’argent. L’échéance trimestrielle de septembre a été une vraie tuerie, juste une semaine après la chute de Lehman. Des collègues ont validé par erreur deux paiements pour plusieurs millions de dollars alors que ces paiements auraient du être bloqués et la réconciliation opérée avec l’un des comptes spéciaux prévu à cet effet. Une boucherie.

Les swaps

Les swaps sont des instruments de crédits créés à la toute fin des années 70.

Un swap est un échange de deux montants identiques (dits « notionnels ») entre deux parties avec des conditions de taux différentes de chaque côté, à l’origine un taux d’intérêt fixe contre un taux d’intérêt variable (dit « flottant »), et donnant lieu au paiement de l’interet de chaque « jambe » tous les trois mois. L’échange de notionnel est virtuel.

Le swap permet à A de réviser un taux d’intérêt fixe sur un crédit sans que cette révision ne représente un risque pour B.

Un exemple. Votre société a acheté des machines pour un million d’euros, à crédit à 5%. Et voilà que les taux baissent fortement. Votre banque pourra vous proposer un swap. Vous vendez votre crédit à 5% à votre banque qui l’achète, et elle vous prête à taux variable le même montant que vous lui empruntez.

Le vendeur est donc emprunteur, l’acheteur est donc prêteur.

Le premier swap a été mis en place par Citibank. En France, par Paribas, en 1980. Ces énormes piles de paperasse qu’étaient les contrats de swaps représentaient un handicap face à leur développement exponentiel à l’époque où les taux d’intérêts s’envolèrent, avant qu’ils ne chutent, et au moment où un grand nombre de pays d’Amérique Latine faisaient faillite. On mît donc en place des associations nationales, puis une association internationale chargée de prédéfinir les contrats de swaps, permettant de réduire la paperasse à 2 feuillets contenant une référence à cette association. En France, c’était la convention « FBF » auxquelles les banques souscrivaient. Très rapidement, pourtant, l’International Swap Dérivative Association prit le dessus, et c’est elle qui encadre la quasi totalité des swaps et dérivés à l’échelle mondiale.

Tres vite, pourtant, ces simples swaps se révélèrent insuffisants. On échangea donc des notionnels dans des devises différentes pour profiter des écarts de taux (currency swap), des swaps avec des taux flottants maximum définis d’avance (cap), des taux minimaux (floor), minimaux et maximaux (corridor), avec un cap et un floor ainsi qu’une revision du spread sur les taux (straddle), avec un montant notionnel diminuant à des dates prédéfinies (amortissment), négociés aujourd’hui, mais avec une date de démarrage ultérieure assortis d’une possibilité (payante, appelée premium) de ne pas le démarrer si on considère qu’il n’est pas avantageux (swap option, dit swaption), swap de trois mois uniquement, avec un seul paiement au terme du swap (Future Rate Agreement, FRA).

Les swaps de taux, au départ basés sur un taux fixe et un taux simple de banque centrale défini au jour le jour, s’enrichirent de taux flottants de plus en plus complexes: taux appliqué au jour le jour (capitalisé), taux pratiqué deux jours avant paiement et couvrant toute la période. Taux flottant indexé aux fluctuations d’un indice: boursier, inflation, pétrole… et bien souvent adossés à d’autres produits dérivés dont ils facilitent la « liquidité ».

Les crédits dérivés sont toujours liés à une autre opération, réelle, optionnelle ou virtuelle. Il est donc important de valoriser l’actif de référence, sous-jacent. On parle de marquer au prix du marché, Marked-to-Market. Cela semble incroyablement complexe, mais c’est en fait une règle de comptabilité qui existe, elle, depuis des temps immémoriaux. C’est une règle qui permet, notamment, d’évaluer le risque pris par un acheteur quand il prête, le profit envisageable pour un vendeur quand il vend.

Ce principe a été très vite appliqué aux swaps de devises (currency swap) pour se couvrir des fluctuations de devises. Le swap de devise Marked-to-Market donne lieu à un véritable échange au départ. Le swap est en général négocié à J-2 pour un départ au jour J et le paiement des deux notionnels, l’un dans une devise et l’autre dans sa contre-valeur dans une autre devise. Trois mois plus tard, au jour du paiement moins deux jours, on révisera les deux notionnels, l’un exprimé dans sa contre-valeur par rapport à l’autre. La différence entre les deux valorisations du notionnelle sera payée, en plus du montant des intérêts pour chaque devise. A prête 1000 dollars à B et B prête la contre valeur de 80145 yens le 10 janvier. La monnaie de reference est le dollar. Le 8 avril, les 1000 dollars de A valent 76981 yens. La situation est donc: A prête 1000 dollars, B prête 76981 yens. Les taux seront appliqués à ces montants, et A paiera, en plus, 3156 yens de « trop percu » à B, la différence entre les deux montants. On recommencera ainsi, aux nouveau cours des devises, tous les trois mois. Si le yen baisse, cette fois si, ce sera B qui paiera une différence à A.

Les plus fréquents, dans les années 2000, furent les échanges dollar et yen japonais car le yen avait des taux proches de zéro, et les USA, entre 2 et 5 %: les banques japonaises rémunéraient leurs avoirs immobilisés, les banques américaines se refinancaient à zéro. Quand on dit qu’Alan Greenspan, President de la FED, baissa les taux beaucoup trop bas, beaucoup trop longtemps, c’est vrai, mais c’est une vue incomplète: le Japon est depuis l’an 2000 le robinet à liquidités gratuites du monde entier.

Barack Obama

La bénédiction ?

Les récents événements ont provoqué des mouvements violents sur les taux d’intérêts, courts particulièrement, comme sur les taux de change, et certains taux de Marked-to-Market rivés à des évolutions d’indices futures sur des matières premières dont les mouvements ont varié brutalement. Les contrôleurs, ces employés qui vérifient au jour le jour l’encours investi par chaque trader au sein de portefeuilles définis, ont été débordés.

L’élection de Barack Obama est donc regardée par la communauté financière comme une bénédiction. Il a joué, comme le travailliste Gordon Brown au Royaume-Uni, un rôle déterminant pour sauver le système financier du gouffre au mois de septembre, en poussant les démocrates au Congrès à adopter le plan de sauvetage (Trouble Asset Relief Program, TARP de 770 milliards de dollars concocté par Hank Pawlson, ministre de George Bush et ancien CEO de Goldman Sachs, destiné à aider les banques qui le souhaiteraient à emprunter de l’argent pour honorer leurs engagements financiers après le gel de toute l’activité inter-bancaire depuis l’été 2008, consécutif à l’explosion de la bulle des CDO. Ce sauvetage a fait suite à la nationalisation in-extremis de AIG avec une garantie de 180 milliards de dollars destinée à payer les primes liées aux CDS aux grandes banques, au changement de statut des grandes banques d’affaires destiné à leur donner accès aux prêts directs de la FED, désormais à zéro pour cent, et à la faillite de Lehman Brothers. Le nouveau président a, par ailleurs, promis de réactiver l’économie. Toute cette action, menée de front avec le président de la FED, Ben Bernanke, spécialiste du krach de 1929 et disciple de Milton Friedman, devrait permettre à l’économie d’éviter une nouvelle dépression.

Il est temps, ici, de marquer une petite pause, de remettre les choses en place et rendre à Milton Friedman et ses Chicago Boys ce qui leur appartient, et rendre à Keynes la crédibilité que lui dénient les néo-conservateurs de tout bord. Cela me sera d’autant plus facile que, marxien, comme je vous l’ai expliqué dans l’introduction, ma critique de Keynes est une critique qui concerne, d’abord, le système qu’il entendait réguler. Si la gauche, à un moment donné, a trouvé chez Keynes un certain nombre de réponses, c’est précisément pour les mêmes raisons qui ont conduit les néo-conservateurs en général, et Milton Friedman en particulier, à le critiquer.

L’école classique et néo-classique considèrent que les prix sont fixés en fonction de l’offre et de la demande. Par conséquent, un marché transparent, débarrassé d’une intervention pesante de l’État, s’équilibre. Quand un produit est trop cher, la demande baisse. La baisse de la demande conduit à baisser le prix (soldes, etc). Dans ce processus, les entreprises qui ont profité du cycle de hausse des prix pour investir continuent de gagner de l’argent car elles peuvent produire à moindre coût (forte productivité). Celles qui ne l’ont pas fait ne peuvent pas baisser les prix dans la même proportion, perdent des marchés et périssent. L’offre diminuant, les prix se remettent à monter et un nouveau cycle de hausse s’enclenche. Les travailleurs qui ont perdu leur travail ici le retrouvent là. D’ailleurs, quand le cycle de croissance est réenclenché, les travailleurs peuvent changer d’entreprise pour négocier un meilleur salaire. Ainsi, pour l’école classique, le mouvement des prix est lié à l’offre et à la demande, il alimente l’innovation, permettant de se débarrasser des entreprises mal gérées. Le chômage est un solde qui se résout avec la naissance de nouvelles activités et la concurrence. Les salaires s’ajustent grâce à la concurrence. La « main invisible » du marché veille à l’harmonie de cette idéale cité d’hommes libres que le progrès épanouit…

Expliquer les crises

Pourtant, nombre d’économistes classiques se trouvèrent dans l’impossibilité de trouver une explication rationnelle aux crises violentes qui jalonnèrent le 19e siècle. Marx fut certainement le plus critique à l’égard de cette théorie. Il critiqua l’idée selon laquelle le marché existait, voyant d’abord le prima du profit et de son corolaire, la plus-value, réalisée par le propriétaire sur le vol d’une partie du travail produit par le travailleur. Il ne voyait aucune possibilité d’équilibre sur le long terme, considérant au contraire dans le chômage de masse une variable d’ajustement à la baisse pour les salaires. Marx pointait une faille: les périodes de prospérité étaient l’occasion d’accroitre les capacités de production, rendant impossible d’échapper à la surproduction. Celle-ci serait, un jour, quand le capital serait incroyablement concentré entre les mains de quelques capitalistes, fatal à un capitalisme dont le ressort de base, l’initiative privée désormais transformée en chacun pour soi, ne parviendrait pas à restaurer « l’équilibre ».

L’essentiel de la critique du capitalisme, chez Marx, est économique. Sa conclusion est qu’à une domination économique qui rend les hommes esclaves de leurs conditions de simples producteurs, doit répondre l’hégémonie politique de la classe sociale produite par le capitalisme, seule à même de réaliser la démocratie par l’exercice effectif du pouvoir, annulant de fait l’économique.

Le glissement vers des préoccupations « sociales » des héritiers de Marx eut des répercussions diverses. Radicalisme gauchiste contestataire coupé de la réalité économique et sociale vécue, mais alimentant une critique qui alimenta le discours libéral dans les années 70, notamment sous l’aspect d’une critique d’un État pourri et corrompu. Glissement lent vers le réformisme keynésien qui, après une période de succès indéniable, conduit à la contradiction de base du keynesianisme: un socialisme dans le capitalisme. Et donc, une fois la société ayant convergé vers une grosse classe moyenne éduquée, vivant confortablement, l’émergence de désirs hédonistes et donc les sirènes néo-conservatrices du moins d’impôt et moins d’assistanat. L’Angleterre fournit à cet égal le meilleur exemple.

Le monde totalement bouleversé de l’après-guerre 14/18 ne put échapper à la surproduction qui se manifestait dès le début du siècle, dans l’acier notamment. L’Europe plongea dans une dépression, et l’Allemagne dans l’hyper-inflation. Les dépréciations monétaires perturbaient le commerce.

Aux USA, pourtant, une nouvelle voie s’ouvrait: la jeune Federal Reserve (FED), créée en 1913 dans la foulée de la panique boursière de 1907, abaissa le prix de l’argent et permit ainsi aux banques de proposer des crédits à la consommation. Ceux-ci permirent la reconversion de pans entiers de l’économie vers les nouvelles industries électriques et mécaniques. L’aspirateur, le fer à friser, le réfrigérateur, la voiture, le prêt-à-porter, la TSF ainsi que la machine à coudre firent leur entrée dans les appartements des grandes villes américaines. Les campagnes, de leur côté, n’échappaient pas à la pauvreté, et ce crédit abondant encouragea nombre de fermiers à s’endetter en hypothéquant leurs terres pour s’adapter à la demande des villes.

L’improvisation du New Deal

Parmi les économistes qui étudièrent le déséquilibre profond des économies développées à cette époque en tendant de trouver une réponse qui coïncide avec l’idéologie classique, deux se distinguent particulièrement. L’Américain Milton Friedman et le Britannique John Maynard Keynes. Tous deux étudièrent l’importance du crédit, de la circulation monétaire et de la monnaie que la guerre avait, à leur yeux, profondément troublé.

Quand le krach de 1929 arriva, Keynes s’apprêtait à publier sa Théorie du crédit et de la monnaie. Le prolongement de la récession, sa transformation en dépression (cycle où la récession alimente la récession sans que l’on puisse entrevoir une quelconque stabilisation), le spectacle de destruction d’usines, de produits agricoles et de biens manufacturés destinés à stabiliser les prix en chute libre au moment même où la pauvreté s’étendait, conduisirent Keynes à réviser ses conclusions de fond en comble, à les critiquer, et à publier, fort de l’expérience du New Deal aux USA, son Traité de l’emploi, du crédit et de la monnaie. Il y développa plusieurs idées, comme le concept de sous consommation. Il y critiqua l’idée que le marché puisse se stabiliser, et en appela à l’initiative de l’État pour réguler le capitalisme, dans son propre intérêt. Il y énonça des séries d’équations où, pour résumer, le rôle de l’État était d’obtenir des égalités entre de grands agrégats macro-économiques. Ainsi, les progrès de la productivité devaient-ils être compensés, pour éviter le chômage qui en découlerait, par une baisse proportionnelle du temps de travail. Ses calculs aboutissaient à environ 20 heures en 2000.

Le chômage était à ses yeux un gâchis humain, social et démocratique: il élabora le concept de plein emploi, proche de zéro chômeurs, en faisant une obligation. Toute détérioration de l’emploi devait être combattue par l’État, en ayant recours à l’endettement, de manière importante, et ciblée sur des projets à même de réactiver l’économie en recréant le plein-emploi, le plus rapidement possible. Roosevelt créa, ainsi, directement et en 6 mois, d’autorité, 5 millions d’emplois. Il développa l’idée des multiplicateurs: une dépense devait, à terme, produire plus en rentrée fiscale qu’elle n’avait coûté par le gain d’activité obtenu, permettant ainsi le retour à l’équilibre budgétaire. Il en était un partisan sur le long terme, prônant pour les périodes de déséquilibre, uniquement, de fortes dépenses financées par l’emprunt. Il recommandait le contrôle de l’émission de la monnaie par l’État afin de rendre ce financement peu coûteux. Dans le but d’éviter qu’une récession, à ses yeux inévitable, ne dure, il recommandait d’utiliser la fiscalité pour créer des systèmes d’assistance sociale permettant de prendre le relais du salaire. Pour Keynes, enfin, des règles simples devaient être mises en place pour éviter une nouvelle bulle boursière. La fiscalité en était le cœur.

S’il est clair qu’il y a de réelles analogies entre le New Deal et cette analyse, il faut également remarquer que le New Deal fut avant tout une improvisation. Seule la Suède, dirigée par le Parti Social-Démocrate à partir de 1933, expérimenta sciemment les premiers travaux de Keynes.

Milton Friedman, lui, fit une toute autre analyse. Il vit dans la chute des cours de la bourse une concrétisation de la théorie classique, à savoir, un ajustement du marché. Il constata qu’après la forte baisse d’octobre, le marché se ressaisit et tenta une stabilisation. Or, c’est le moment où la FED se décida à resserrer la politique monétaire afin de calmer le marché et éviter toute nouvelle spéculation. Les banques elles-mêmes appliquèrent ce resserrement du crédit qui, un mois après que des dizaines de milliers de personnes aient dù vendre leurs actions à perte pour rembourser leurs emprunts dans l’urgence, recréa une nouvelle panique, faisant baisser la bourse à nouveau. Cette fois, on se rua dans les banques. Par ailleurs, dans les campagnes, cette hausse des taux étrangla les fermiers qui ne purent plus honorer leurs dettes au moment où les prix des matières premières qu’ils produisaient chutaient. Ils furent des millions à quitter leur ferme, expropriée, et à prendre la route en laissant derrière eux une terre en friche et leur dette. Plus de 2000 banques firent faillite en 1930.

Toutefois, Milton Friedman considérait que cela ne pouvait que repartir, comme le suggère la théorie classique. Par conséquent, les politiques mises en place à partir de 1933, avec le New Deal ou inspirée par Keynes, se révélaient être des interférences nuisibles dans le jeu du marché, qu’elles conduiraient à faire s’envoler la dette, et par conséquent les taux d’intérêt, entraînant, à terme, une autre dépression. Il ne cessa donc de critiquer pendant 40 ans, un par un, les postulats de Keynes et de l’État providence, prônant un retour au marché, à la libre concurrence, à l’initiative privée.

Ses théories furent expérimentées par ses disciples de l’université de Chicago, les « Chicago boys », dans le Chili du Général Pinochet, où furent privatisées maintes industries ainsi que les régimes de retraites. Il inspira Margaret Thatcher et Ronald Reagan et leurs politiques de coupes dans les budgets sociaux destinées à baisser les impôts « confiscatoires » de l’État keynésien qui avait dominé jusque dans les années 70. Le but était de revenir aux sources, faire fleurir l’esprit d’initiative, et donc créer des richesses, condition nécessaire à la prospérité de tous.

Bernanke vs Krugman

Quand le marché s’écroula en 2008 après la faillite de Lehman Brothers, le Président de la Federal Reserve, Ben Bernanke, disciple de Milton Friedman et spécialiste du krach de 1929, se décida à mettre en œuvre grandeur nature les théories de son mentor. Il mit en place une politique dite de Quantitative Easing (rachat/ mise en dépôt des CDO et autres RMBS contre des crédits illimités à zéro pour cent…) qui vint compléter le gigantesque soutient à la finance de 770 milliards de dollars décidé par Hank Paulson et voté in-extrémis au congrès.

Paul Krugman, économiste keynésien, cru, lui, le moment venu, de sortir des politiques mises en oeuvre depuis Reagan et qui avaient abouti au même résultat que 80 ans auparavant, prônant une autre approche faite de nouvelles régulations et d’un plan de relance massif avec reconversion de l’économie aux impératifs écologiques. Il était sûr que l’élection d’un jeune président Démocrate allait faciliter ce basculement.

Après tout, la télévision, reprise en coeur par l’opinion, n’arrêtaient-elles pas de parler d’un nouveau Roosevelt ?

Fin de la première partie

Mardi 10 mars 2009, Canary Warf, Londres. 8 heures 15 du matin. Sandrine descend de la DLR aux couleurs des Jeux Olympiques de 2012. Il fait froid et le ciel est lourd, gris et bas comme il sait l’être à Londres en hiver. Cette année, il semble interminable. Tout à l’air gelé, en arrêt. Elle entre dans le Tesco Express comme elle a pris l’habitude de le faire tous les matins, s’achète Libération, un sandwich et un jus d’orange frais. Deux Américains discutent devant la caisse rapide, ils la laissent passer. Elle tend son panier à la jeune caissière indienne, sort sa carte Tesco.

Elle surprend la conversation des deux hommes en costume gris. Elle a entendu ça hier soir avant de se coucher, elle aussi. Le Dow Jones est passé sous les 6550 points, et personne ne sait plus trop quand cela va s’arrêter. Barack Obama ne parvient pas à s’imposer face à un Parti Républicain décidé a l’empêcher de gouverner par tous les moyens. Les démocrates, eux, veulent surtout que le plan de relance finance cette reconversion de l’économie que promeut la « gauche » du parti. Ils ne veulent pas des baisses d’impôts. Sandrine ne sait pas trop quoi en penser. En fait, elle est plutôt pour les baisses d’impôts car ça récompense les gens qui font des efforts, et contre les plans de relance qui entretiennent l’assistanat, mais désormais, elle ne sait plus trop.

Elle a peur de perdre son emploi, aussi, comme plus de 100.000 autres depuis un an dans la finance, à Londres. Ici, trois banques ont été nationalisées, et le gouvernement a injecté des centaines de milliards de livres pour éviter que ça ne s’écroule: la bulle immobilière était bel et bien une réalité ici aussi. Et on a acheté beaucoup de CDO aux USA. Dans sa banque, aucun contrat d’intérimaire ni de contractuel n’a été prolongé, les bonus ont été gelés. Alors, si un plan de relance pouvait lui permettre de tenir le temps qu’il faut, le temps que ça reparte, elle ne serait pas contre. Et puis Obama veut faire la Sécurité sociale, et ça, elle est pour. Elle aimerait que les modérés des deux partis s’entendent, là-bas, et que ça reparte enfin. Elle a un master de l’Université de Dauphine, mais en fait, comme plus de 95% des autres dans le métier, elle ne sait pas trop comment ça marche, en global. Ses professeurs lui ont enseigné la possibilité d’une régulation des marchés par les marchés eux-mêmes, et ça avait l’air de bien marcher jusqu’ici. Le socialisme, Keynes, « tout ça », elle est plutôt contre car ça entretient l’assistanat en faisant exploser les déficits.

Elle descend l’escalier mécanique et rejoint la grande esplanade en mangeant son sandwich. Peter et Andrew sont là qui l’attendent, comme ils en ont pris l’habitude depuis quelques mois maintenant. Andrew a été muté au Forex, le marché des devises: les CDS se sont écroulées, on n’avait plus besoin de lui.

— La bourse américaine a crevé le planché, hier, vous avez vu ça ?

— Ouais… Le VIX a monté en flèche, certains voient maintenant le Dow à 4000 dans un mois…

— J’ai lu ça, sur Zero Hedge.

— Ca fait vingt ans que les keynésiens bousillent tout avec leurs bulles et leurs dépenses.

— Mais Bush…

— Ils sont tous pareils, Bush comme Obama ! Tout pour Goldman Sachs. Regarde, Geitner, un ancien de Goldman. Comme Pawlson. Et Bernanke, le roi des keynésiens, avec sa planche à dollars. Y’en a pas un qui aura le courage de couper les budgets un bon coup, privatiser tous ces trucs qui servent à rien, et baisser les impôts un bon coup !

— T’es pas un peu radical ?

— C’est votre truc, à vous Français. Regardez dans quelle merde vous êtes depuis 20 ans.

— Ouais, ben c’est pas mieux chez vous maintenant… T’en penses quoi, Andrew ?

— Il nous faudrait Thatcher, pour couper les branches pourries ! Et puis il y a trop de gens qui profitent du système. Regarde le NHS, c’est plein d’assistés. Il faut responsabiliser les gens.

— Tiens, pour le coup, je suis d’accord. Obama va donner de la thune aux fainéants et le déficit va exploser. C’est pas pour ça qu’on a voté pour lui.

— C’est pour quoi alors ?

— La protection sociale et le Cap and Trade. Et puis aussi arrêter la guerre, mais putain, avec son plan de relance et Bernanke, il va tout saloper. Je pense pas que c’est un gauchiste (« liberal »), mais il se laisse mener par les keynésiens.

— C’est pareil avec Brown. Tout ce déficit, franchement, il y a un moment, va bien falloir s’arrêter. Et vous avez vu, les bourses, ça résout rien…

Melissa

Melissa n’en démord pas. Le budget de relance préparé par l’administration Obama la met en colère.

— Mais il est où, Keynes, là-dedans, hein ? Il est où ? Ce connard de Geitner nous fait la même politique que Bush avant, et que Clinton avant, et que Reagan avant. C’est quoi, ces putains de baisses d’impôts. Sur les 700 milliards du plan de relance (« stimulus Bill »), il y a seulement 120 milliards pour des infrastructures. Et tout le reste, c’est pour les banques ou les baisses d’impôts! Il est où Keynes, là-dedans, hein ? Les gens, ils vont trouver du travail comment, avec ça, hein ? Et ce déficit, qui c’est qui va le payer, hein ? J’ai pas voté pour ça, j’ai pas fait campagne pour ça. Vous devez refuser ce budget.

— Madame… Je comprends votre déception, mais à Washington, il faut composer. On veut passer la réforme de la santé, ça va être difficile, on ne peut pas attaquer de front, comme ça…

L’audience s’est un peu agitée quand le député (« congressman ») a dit que c’était comme ça, à Washington.

— Mais on a voté pour Obama pour rompre avec ce Washington là !

L’assistance applaudit. Le député est visiblement gêné.

— Je comprends votre impatience…

— Non, vous ne comprenez pas ! Ce n’est pas « mon » impatience, c’est celle des centaines de milliers de travailleurs pauvres qui ont perdu leur travail, c’est celle des femmes seules élevant leurs enfants et dont l’allocation de chômage est prise en otage par les députés républicains qui ne veulent pas la reconduire, c’est…

— Je sais, je sais… Mais dans ce plan de relance, il y a aussi des crédits pour sauver l’industrie automobile ! Il y a des crédits pour aider les banques à proposer des nouveaux crédits à de meilleurs taux pour ceux qui ont des difficultés, il y a…

Une voix venant du fond de la salle, une petite femme assez forte, le coupe dans son élan.

— Et moi, hein ? Qui va me la rendre, ma maison, ils m’ont expulsée, on vit chez des parents qui nous hébergent dans leur maison. On est 11 dans leur petite maison, j’ai perdu mon travail de caissière, mon mari prenait des médicaments, mais comme j’ai perdu mon assurance, il a dû arrêter. Comment je fais, moi ?

New New Deal

Des témoignages comme ça, Melissa en entend tous les jours.

Elle promeut l’idée d’un « nouveau New Deal », un plan de relance global qui serait principalement axé sur des investissements, une augmentation des budgets de l’éducation et de la santé, qui incluerait la protection sociale et qui serait financé par le retrait des troupes d’Iraq et d’Afghanistan ainsi que la fin des baisses d’impôts décidées sous l’administration Bush. Elle anime un blog avec plusieurs amis à ce sujet.

Le New Deal, elle connait bien: diplômée de Princeton, elle a suivi les cours de Paul Krugman. Elle a grandi dans un quartier défavorisé de Baltimore qu’elle a vu se dégrader lentement d’année en année. Elle a vu les dealers arriver, le voisinage changer, les gangs s’installer: pour elle, Ronald Reagan, la révolution conservatrice, ce fut essentiellement cela. Ses parents gardaient une sorte de culte pour ce qu’ils appelaient vaguement « avant », quand il y avait des politiques sociales, des logements abordables, du travail et une conscience politique dans les quartiers afro-américains. Très tôt, Melissa s’est intéressée à cet avant, et elle a découvert le New Deal. Elle a donc travaillé dur à l’école, et elle est parvenue à rentrer à la prestigieuse Université de Princeton. Très vite, elle a senti des divergences entre elle et ses professeurs, mais cela l’a encouragée à travailler encore plus, car au delà des divergences, elle sait que les ennemis sont du côté de Milton Friedman qui ont réécrit l’histoire, en transformant l’expérience du New Deal et ses ambitions sociales, les décrivant comme une machine à faire des dettes.

Rien ne la met plus en rage que ces journalistes qui qualifient les baisses d’impôts et les déficits des l’administration Bush et Reagan de « keynésiennes », car elle, elle sait, elle l’a vu, elle l’a vécu, la contrepartie de ces politiques menées depuis trente ans a toujours été plus de pauvreté et de chômage, plus de précarité, moins de droits syndicaux, des salaires toujours plus bas avec des conditions de travail toujours plus difficiles, et des dettes, toujours plus de dettes, pour la maison, pour la santé, pour les études quand avant, comme disent ses parents, on trouvait à se loger, il y avait du travail payé décemment, des syndicats plus forts, et des aides sociales. Ce n’était pas parfait, et elle sait que Roosevelt est mort avant d’avoir pu créer LE système de protection sociale qui aurait parachevé, à ses dires, l’oeuvre accomplie à partir de 1933. Elle s’était jurée, donc, de mener la guerre contre les falsificateurs qui, de sites internet en vidéos YouTube et en livres, véhiculent l’idée que Keynes est le vrai responsable de l’endettement et des déficits, quand derrière ces discours il s’agit avant tout d’une gigantesque entreprise de redistribution à l’envers, comme ce sauvetage sans condition des banques après qu’elles aient speculé et que leurs actionnaires aient reçu pendant des années des dizaines de milliards de dividendes eux, de moins en moins taxés. Hier soir, elle a regardé une video sur YouTube, justement, qui disait que le « bail out », ce soutien aux banques, était keynésien. Ça l’a mis en rage car le New Deal n’a pas empêché les faillites, il n’a pas subventionné: il a mis en place des allocations de chômage, sans conditions, pour les rendre supportables. Et voilà qu’après avoir voté un gigantesque plan de soutien aux banques qui ont spéculé ainsi qu’aux industries automobiles qui ont distribué leurs bénéfices aux actionnaires et délocalisé au lieu d’investir aux USA, les membres du congrès chipotent sur une l’extension de l’indemnisation des chômeurs. Et cette politique est taxée de keynésienne. Elle est en colère, aujourd’hui.

Elle reprend la parole.

— Depuis l’enfance, je vois le quartier se dégrader. La drogue, les gangs ont pris possession du territoire et…

— Ne mélangez pas tout, madame, un problème à la fois, la police et…

— Mais c’est pas une question de police ! Ça fait vingt ans que vous dépensez l’argent des services sociaux pour mettre des caméras de surveillance partout ! Mais ça sert à quoi si les jeunes n’ont pas de travail ? Ça sert à quoi si les parents n’ont pas de travail ? Ça sert à quoi si les gens ne savent pas où se loger car après avoir été abusés par des agents immobiliers qui leur ont vendu des maisons à des taux pas possible ils se retrouvent à la rue ? Ça sert à quoi si des gamines de 14 ans se retrouvent enceintes après s’être prostituées pour payer leur drogue ? On ne vous a pas élus pour sauver la finance, on vous a élu pour changer tout ça, pour en finir avec Reagan, et Bush, et même Clinton ! Le résultat de ce budget de relance, c’est que le déficit va exploser, et que personne ne va voir la différence, le chômage va continuer à monter, les écoles vont continuer à se dégrader. Vous devez en finir avec les baisses d’impôts de l’époque Bush, vous devez en finir avec la guerre en Iraq, et vous devez utiliser cet argent pour reconstruire des écoles, des hôpitaux, des ponts, des trains, et subventionner l’achat de panneaux solaires et l’isolation des maison. Ça créera des emplois, plein d’emplois, en améliorant la vie des gens !

Les applaudissements fusent, une voix dans le fond lance, en colère

— Et abrogez Don’t Ask Don’t Tell !

George

George a fini de peindre la grande banderole. Depuis deux semaines, il s’active. Un ancien ami d’école, aujourd’hui propriétaire d’une société d’autocars, l’a contacté. Il vient de signer un gros contrat avec le groupe American for Prosperity, une association destinée à promouvoir la libre entreprise et financée, entre autres, par les frères Koch, milliardaires du charbon et du pétrole. Le groupe est décidé à aider tous ceux qui veulent en finir avec l’emprise de Washington sur la vie économique à s’organiser. Le mois prochain, ils organisent un grand rassemblement pour protester « contre le déficit qui explose » et qui va exploser encore plus, à leurs yeux, depuis que la nouvelle administration démocrate a pris le pouvoir. Ils sont bien décidés à mettre en avant leur ras-le-bol des impôts. Tax Enough Already, TEA Party, don’t treat on me (déjà suffisamment taxé, TEA party, ne me marchez pas dessus).

— Le mois dernier, on leur a mis la pâté, le mois prochain, on va les écrabouiller. Qu’ils l’instaurent, l’état d’urgence, on est prêts !

— Moi, mon garage est blindé, j’ai même de la dynamite. On va lui apprendre, au macaque.

— Et l’aut’ pute à nègres de Pelosy, on va lui faire bouffer, son plan de relance, ha ha ha…

La femme de George arrive.

— Les hommes, j’ai sorti les bières, c’est l’heure de Bill O’Reilly sur FOX.

Fin de la deuxième partie

Melissa et Robert écument le net. Cette année 2009 est décidément une année de guerre. Les sites annonçant la banqueroute des USA et l’instauration de l’état d’urgence se multiplient.

Il y a les sites néo-conservateurs libertariens qui, comme Zero Hedge, popularisent depuis un moment les idées du député (« congressman ») Ron Paul, à savoir que les politiques keynésiennes ruinent la valeur du dollar et que Ben Bernanke et sa planche à billet vont ruiner l’économie. Melissa ne désapprouve pas certains constats sur ce site, notamment que ce « bail out » des banques a d’abord été fait pour sauver Wall Street, mais elle n’est ni d’accord avec l’adjectif de « keynésien » puisque cette politique s’est faite au prix d’un démantèlement du vague État Providence construit au temps du New Deal et que Bernanke est avant tout un disciple de Milton Friedman, ni avec les remèdes proposés par les libertariens qui se traduiraient par la victoire des assurances d’une part et la disparition de l’impôt proportionnel d’autre part.

Le site Zero Hedge, à travers les informations qu’il propose, est donc, à ses yeux, avant tout un site de jeunes petits boursicoteurs qui se sentent floués par la richesse, la réussite, le pouvoir, et donc l’influence des gros boursicoteurs.

Melissa n’aime pas le boursicotage.

Il y a ensuite les allumés d’extrême droite qui, de manière plus ou moins déguisée, en utilisant parfois des arguments de liberals (Alex Jones), le style des prêches religieux et l’appel aux « pères fondateurs » (Glenn Beck) ou la phraséologie du Klan (Rush Limbaugh) gonflent la contestation de l’Amérique petite blanche qui n’accepte pas qu’un Noir soit devenu président.

Alex Jones est un conspirationniste, il diffuse sur YouTube des vidéos sur le 11 septembre, qu’il lie à des sociétés secrètes conduites en sous-main par un groupe très particulier, les Illuminatis, qui tentent de dominer le monde au profit des forces du mal et d’envahisseurs extra-terrestres, réels ou imaginaires, qui leur donneront la vie éternelle. Ses arguments sont souvent repris par les gauches américaines et européennes sans qu’elles ne questionnent le reste de ses théories, imprégnées de racialisme, et plus profondément, alimentées par le vieux fond antisémite occidental.

Glenn Beck, lui, est un mormon, et il est une des stars d’extrême droite sur Fox News, la chaine d’information du groupe Murdoch, magna du néo-conservatisme. Il parle comme on prêche et son utilisation de la Déclaration d’Indépendance est implicitement un encouragement à commettre des actes de violence.

Rush Limbaugh, enfin, c’est l’Amérique raciste plus traditionnelle, la mise en doute régulière des capacités intellectuelles du Président, la rhétorique du racisme noir anti-blanc, l’utilisation des termes de lynchage et de ségrégation dont seraient victimes les blancs et « les vrais américains » depuis l’élection de Barack Obama.

Tous les trois décrivent la nouvelle administration comme communiste, animée d’une volonté de ruiner les USA, font régulièrement des références à l’antéchrist et n’hésitent pas à parler de Barack «Hussein» Obama comme d’un nouvel Hitler.

Au niveau politique, plus que Sarah Palin, qui prépare un livre et sillonne le pays, c’est Michele Bachman que Melissa et Robert ont remarquée, car celle-ci reprend les mêmes expressions, le même vocabulaire haineux, les mêmes métaphores. Michele Bachman voit des Musulmans partout, parle d’un agenda homosexuel, compare les impôts à une spoliation, et ramène souvent tout cela à ses convictions religieuses.

Le « socialisme » est responsable

Melissa commence à comprendre ce que font les conservateurs.

Ils vont faire porter la responsabilité de la débâcle financière à l’état et au « socialisme », en focalisant toute l’attention sur la dette: l’explosion des déficits, sous le double effet des chutes spectaculaires de rentrées fiscales consécutives à la récession et des plans de sauvetage des banques, puis la mise en œuvre de plans de relance leur fournit l’illustration qu’ils attendaient. Leurs arguments, ceux des Chicago Boys, sont prêts, ils dominent la pensée économique depuis trente ans. Les Keynésiens ne sont pas prêts, la gauche (the liberals) non plus, leurs arguments discordent, ils sont compliqués et confus. Les liberals s’étaient fortement investis contre la guerre en Iraq. Pas au néo-conservatisme économique, car ils pensaient que l’une conduirait à l’autre. Automatiquement.

L’écroulement financier les a dissipés, ils n’ont pas vu que les libertariens qui, eux aussi, avaient fait campagne contre la guerre, avaient déjà bien nourri leur pensée économique, celle d’un retour à l’Amérique d’avant le New Deal et ses lois sociales, d’avant les lois anti-discriminations, au temps de l’étalon or, avant le syndicalisme.

Et Obama n’a rien compris. La bataille pour la réforme de la santé s’annonce difficile.

Georges

Georges hurle dans le grand cône jaune qui lui sert de mégaphone. À ses côtés, ses amis brandissent des pancartes. L’une d’elle représente Barack Obama avec une petite moustache, comme celle d’Adolphe Hitler. Une autre, confectionnée à la main, représente le même en ligne de mire, avec le message « Shoot Hussein ». Ou une autre, « Born in Africa ». Une foule de plus de 200 personnes, vociférant des slogans, certains arborant des sacs de thé, quelques uns visiblement armés, attendent la députée.

— Nous ne paierons pas pour les avortements des assistés. Nous ne paierons pas pour les fainéants qui s’achètent des maisons sans travailler. Nous ne paierons pas pour les voyous sans papiers qui viennent ruiner l’Amérique en complotant contre elle. Nous ne paierons pas pour les hordes islamiques qui infiltrent le pays en faisant des enfants qui tueront nos enfants. Don’t treat on me!

La foule hurle.

Une voiture arrive, la police tente de la séparer de la foule haineuse.

Nancy Pelosi, Présidente de l’assemblée (Congress), est venue dialoguer avec la base démocrate comme tous les autres élus le font chaque année. Mais cette année, les actes de violence se multiplient, les menaces aussi. Hier, à Seattle, le député démocrate a du quitter la salle précipitamment après qu’une foule furieuse ait perturbé la réunion, empêchant les simples électeurs de s’exprimer, d’interroger leur député.

Le groupe American for Prosperity transporte les militants des Tea Party d’états en états, des troupes venant renforcer les troupes locales et donnant une impression de mouvement important, spontané et populaire. La venue de Nancy Pelosi, ici, a été préparée minutieusement.

Le but de la manifestation est de l’empêcher de parler, de multiplier les prises de paroles bruyantes afin de marteler l’argumentaire envoyé à chaque militant. Dedans, il y a un argument qui commence à prendre: la réforme de la santé autorisera non seulement l’euthanasie, mais la promouvra et la remboursera. Qu’importe que ce soit vrai ou faux, ça marche, et dans l’opinion, des gens commencent à se poser la question.

Nancy Pelosi sort. Son sourire est figé, elle regarde alentours et voit les affiches avec Hitler-Obama, celles avec un singe en ligne de mire, celles avec « Don’t kill grand’ma », et plus loin les autobus affrétés par American for Prosperity aux couleurs du Tea Party, avec leur grande main stylisée dessinée sur le côté. Elle est terrorisée mais tâche de ne pas le montrer.

— Putain!

— Avorteuse!

— Communiste!

— Salope!

— Négresse!

Les insultes fusent, elle s’engouffre dans la salle où la réunion publique de bilan de mandat du député local est organisée. Elle retrouve les mêmes regards hostiles, elle comprend que c’est cuit.

Comme à Seattle, comme à Denver, comme partout ailleurs, les Tea Party vont tenir le micro et imposer leur narration. Elle en veut au Président de ne pas la soutenir un peu plus, de donner des gages aux démocrates conservateurs, les Blue Dogs, qui ne sont pas de chauds partisans d’un système public de santé qui viendrait en complément, sur une base volontaire, au système privé actuel, la « public option » du président. Elle serait, elle, pour une généralisation de Medicare (programme d’assurance médicale réservé aux personnes âgées de plus de 65 ans créé en 1964 par le président Démocrate Lyndon B. Johnson) et le payeur unique (un seul assuré pour toute une famille), comme en Europe.

Un système à l’européenne

Beaucoup de démocrates penchent pour cette solution, mais le président estime que pour éviter l’échec de Hilary Clinton, proposer une simple « option » de type public serait un progrès considérable dans cette direction. Hélas, cette option a été dès le départ un concept flou (beaucoup pensent qu’il eut été plus clair de parler d’un accès possible au Medicare, très populaire), et le Parti Républicain s’y est engouffré. Des démocrates, les Blue Dogs, ont alors voulu modérer encore plus la proposition, certains allant même jusqu’à suggérer que ce soient les assurances privées elles-mêmes qui gèrent l’option, lui privant, de fait, tout caractère public.

Face à cela, d’autres démocrates sont, eux, allés dans le sens maximal en réclamant le démantèlement des monopoles des assurances dans les états ainsi qu’un super Medicare et le payeur unique, menaçant de ne voter rien d’autre.

Son rôle, en tant que présidente du Congrès, est de veiller à l’unité des troupes démocrates. Elle y tient car elle a son propre agenda, de l’abrogation de « Don’t Ask Don’t Tell » à une législation destinée à protéger les femmes contre différents types de discriminations.

Elle est la bête noire du Tea Party, elle incarne ce « socialisme » honni en leurs rangs.

Elle aimerait également mettre fin aux baisses d’impôts de l’époque Bush.

Son problème est du côté du sénat, où la majorité Démocrate qui domine par 59 voix contre 41, se heurte à une sorte de tradition, le filibuster, celle de pouvoir être censurée par un vote de 40 sénateurs sur n’importe quel sujet.

Les Républicains bloquent tout, poussés en ce sens par une base fanatisée par le Tea Party et Fox News. Quasiment aucun texte qu’elle a fait adopter au Congres n’a été adopté au Sénat. Le système est bloqué. Elle craint que cela ne pousse les Blue Dogs à modérer encore plus le texte sur la réforme de la santé.

Elle s’assied à côté de son jeune collègue démocrate. Au fond de la salle, un homme hurle « Don’t Kill Grand’ma! », est pris à parti par d’autres hommes et deux vigiles, les caméras de télévisions filment ce moment juteux qui rompt avec le ronron estival. Elle a compris qu’une fois encore, les médias parleront de foule mécontente et d’euthanasie des vieux.

Nancy Pelosi est une parlementaire, elle est la présidente du Congrès, elle a mangé beaucoup de couleuvres, fait beaucoup de compromis. Elle a gardé aussi quelques réflexes de militante. Elle évalue la foule hostile à une vingtaine de personnes, elle constate que les gens « normaux » avec leurs questions, leurs craintes et leurs espoirs, sont les plus nombreux. Elle sait, elle est persuadée que parmi eux, il y en a qui ont les mêmes idées qu’elle.

Nancy Pelosi se lève, elle prend la parole, et elle attaque de front les intérêts financiers et les assureurs qui se cachent derrière le Tea Party.

Début septembre 2009, dans une interview, Jimmy Carter déclare que la hargne dirigée contre le président Obama est une hargne de petits blancs. Il est le seul homme politique à rompre le tabou, que le président évite, lui, soigneusement.

16 octobre 2009. Sandrine, Andrew et quelques collègues sont en train de sabler le champagne au Café Rouge de Canary Wharf, comme à la grande époque. Ils retrouvent Helen, Viray et Patsy, trois anciens employés de Lehman Brothers que leur banque a engagé l’été dernier.

— Aux 10000! 

Tous lèvent leur verre de champagne. Le Dow Jones vient de casser les 10000 points, soit plus de 30% de hausse en 7 mois! Du jamais vu! L’économie américaine semble, elle, sortie d’affaire, les résultats des sociétés sont meilleurs que prévus et on commence à parler de croissance, le spectre d’une rechute s’éloigne. Stewart, un peu éméché, lève son verre.

— Et maintenant, il va falloir remettre de l’ordre. Les déficits, c’est fini! L’assistance, c’est fini! Au boulot, les fainéants!

Tout le monde rit. Une douce brise balaie le Dockland.

Fin de la troisième partie

2010 commence sous de toutes autres auspices que 2009. La croissance économique est de retour. Les pays émergents affichent des taux incroyablement élevés, on y craint même une surchauffe due à l’afflux des capitaux en mal de haut rendement, principalement occidentaux, qui s’y investissent. La Corée fait figure de nouvelle puissance régionale, ses produits s’imposent: automobiles, téléphones mobiles multimédias Androïd, téléviseurs 3D. Le Brésil et la Russie, eux, sont devenus de nouveaux eldorados que l’envolée du prix des matières premières (commodities) enrichit. Le président Lula, converti au libre-échange, a trouvé le moyen d’insérer l’économie du pays dans le commerce mondial et d’utiliser les besoins des pays développés pour moderniser les infrastructures, investir dans l’éducation et la recherche. La pauvreté a fortement reculé et la consommation intérieure favorise désormais un cycle long de croissance auto-entretenue. L’Algérie est, elle, en passe de finir le remboursement de toute sa dette. À la première marche du podium, la Chine, dominant l’ensemble du haut de ses 10% de croissance. Et à la deuxième place, très discrète, craignant presque d’être remarquée, l’Inde et ses 9% de croissance. 

C’est comme si le monde unipolaire acheté à crédit de l’ère Georges Bush avait définitivement disparu sous le poids de ses propres échecs, et si une nouvelle réalité mondiale, avec de nouveaux acteurs, de nouvelles religions, de nouvelles langues et toute une palette de couleurs de peaux et de civilisations l’avaient remplacé.

Marx avait donc parfaitement bien vu les tendances de fond du capitalisme. C’est un système qui ignore les frontières et ainsi, l’Occident a cessé, définitivement d’être le centre du monde.

Si tout semble en apparence revenu à la stabilité, cette nouvelle donne et la facture de la période précédente créent de fait une situation déséquilibrée, un peu comme vers 1910, après la « panique de 1907 » quand, passé le choc boursier, il devint évident qu’à New York, et non plus à Londres battait désormais le pouls de la finance occidentale, et que le Royaume-Uni et la France, les deux vieilles puissances fortement affectées par le krach, allaient devoir désormais compter avec les USA et l’Allemagne, cette dernière produisant en plus un acier de meilleur qualité et bien moins cher.

La fin 2009 et le début de l’année connaissent une véritable débauche éditoriale de livres sur « la crise ». On accuse ici les crédits dérivés, on célèbre là «La revanche du Maitre» dans un essai sur Keynes. Au milieu de cette avalanche de livres relativement inintéressants et tous consacré au « Comment-on-en-est-arrivé-là », l’un d’eux détonne et passe d’abord assez inaperçu.

Le livre, édité par les Presses Universitaires de Princeton, est en fait un colossal travail d’histoire de la finance, entamé de nombreuses années auparavant, mais qui éclaire sous un jour nouveau, et de façon totalement involontaire, la situation actuelle.

Son titre est une véritable provocation à la communauté des économistes et des financiers. This Time is Different. Cette fois, c’est diffèrent. L’ouvrage s’emploie, bien entendu, à démontrer que « We have been here before », qu’on est déjà passé par là. Il compile, sans donner ni conclusion, ni recommandation, une histoire des crises financières depuis 700 ans. Mieux, lorsque cela est possible, il présente les données sur les crises financières qui ont secoué les mondes non-européens, une première dans un seul ouvrage. S’il ne conclut pas sur des solutions, le diagnostic est implacable.

Les gouvernements tendent parfois à encourager certains débordements (guerres, spéculations) dont les répercussions, quand la fortune tourne, restent invariables. Une explosion de la dette. Pire, très souvent, et pour des raisons que l’ouvrage ne détaille pas car ce n’est pas son but, ils tentent de sauver les spéculateurs privés afin de sauver ce qui peut être sauvé de leur économie, et se trouvent ainsi acculés à faire défaut sur leur propre dette.

De cette étude, il ressort que les pires krachs possibles ne sont pas les krachs sur actions, mais les krachs sur les biens mobiliers et immobiliers dans un contexte d’expansion du crédit. Il en ressort ainsi que bien avant le krach de 1929, un véritable boom de l’immobilier avait saisi les grandes villes américaines, mais que les prix, puis la production avaient atteint leur plateau en 1927, avant de commencer baisser en 1928, et que par ailleurs dans les campagnes, on hypothéquait ses biens pour se moderniser. L’exemple Japonais est bien entendu analysé, puisque l’envolée de la bourse était en fait alimenté par la gigantesque bulle immobilière sur laquelle les particuliers et les banques montaient des hypothèques afin d’investir en bourse ou acheter d’autres biens immobiliers à crédit, les hypothéquer et ainsi de suite…

La faillite de Dubaï, demandant un rééchelonnement de sa dette après des années de spéculation dans cette destination typique de la hype nouveau riche thatchéro-reaganienne des années 2000, avec ses îles artificielles pour nouveaux riches nourris aux baisses d’impôts en jeans griffés, au moment où l’Islande, autre paradis de la dérégulation et de la hype, passe sous perfusion financière, recevant des fonds de la Russie, de la Chine et du Koweït afin que la faillite de son système financier vérolé de CDO et autres MBS et désormais nationalisé ne fasse exploser la finance internationale, sont la toile de fond économique lors de la parution de l’ouvrage.

Cette actualité chaude sur le front de la dette des états vaut aux deux universitaires de nombreuses interviews. BloombergTV, le Financial Times, CNBC, tout le monde veut avoir leur éclairage. Bien qu’ils insistent sur le volume impressionnant de dettes privées et pourries détenues par les banques, ce qui intéresse les journalistes, peut être sous la pression idéologique du Tea Party, est le volume du déficit public américain.

Qu’importe si Bloomberg publie par ailleurs une estimation de 3 à 5 millions crédits Teaser à être réinitialisés d’ici 2013, et qu’importe si les biens hypothécaires formant le sous-jacent de pléthores de dérivés ont déjà perdu 50% de leur valeur ou plus en Floride ou en Californie. Qu’importe si les banques, désormais propriétaires de fait de millions de maisons vidées de leur propriétaires retiennent ces maisons et ne les mettent pas sur le marché pour éviter, et l’inscription de la perte dans leurs comptes, et une chute encore plus dramatique de l’immobilier, désormais placé sous perfusion. Et qu’importe si cet état de fait explique l’agonie de la reprise économique, les banques étant dans l’incapacité de prêter aux petites entreprises, aux commerces.

Qu’importe. Le débat sur la dette est lancé.

Stewart

Mai 2010. Stewart est ravi. David Cameron sera vraisemblablement le nouveau premier ministre Britannique. Le Liberal-Democrat Party devra manger son chapeau et accepter les conditions du premier ministre. À savoir, des réductions de budgets drastiques, notamment dans le National Health Service, cette trappe à assistanat imposée par les marxistes et les keynésiens après la guerre. Il referme son Evening Standart, le jette sur la banquette à côté de lui avec le gobelet de cappuccino Café Costa. Une vieille dame assise en face relève le visage et tourne la tête, l’évitant soigneusement et manifestant ainsi sa réprobation pour le manque manifeste de manières. Stewart s’en moque, c’est un rebel. 4 ans qu’il travaille pour LaBank.

Il sort du wagon et court dans l’un des escaliers gigantesques de la station Canary Warf sur la Jubilee Line. Il fait biper son pass et retrouve Peter. Autour d’eux, la foule s’agite. Ils montent l’un des grands escaliers mécaniques qui conduit à la grande place au pied de la doyenne, LA Canary Warf, surmontée de sa pyramide qui éclairant Dockland la nuit, définissant de fait sa domination sur ce quartier dévolu aux affaires et habité principalement par les classes moyennes thachéro-blairiennes.

Ils retrouvent Sandrine. Elle aussi, est heureuse. Elle aime bien Cameron et trouve sa femme vraiment humaine, généreuse. Et puis récemment, c’est Stewart qui l’avait noté, elles portaient, le même jour, la même petite robe légère. Ça avait créé un lien virtuel.

— Félicitations, Stewart!

— J’ai jamais perdu, c’est pas maintenant que ça va commencer.

Il porte un nouveau costume qu’il a acheté chez un tailleur de l’ouest, pas très loin de la Wallace. Avec le bonus de 30.000 livres qu’il a reçu, il ne voulait pas se gêner. Bleu sombre à rayures grises, la veste assez cintrée et les poches en biais, une doublure jaune très vive. Il a sa cravate vintage préférée, la jaune à reliefs mat à très fins motifs « déchirés » rouges-orangés, Paul Smith, une chemise blanche faite sur mesure. Et ses vieilles Greenson noires un peu abimées, les premières qu’il ait achetées, avec son premier salaire.

Il vivait alors encore « à la maison ». Sa mère l’avait un peu grondé, mais il avait bien vu le sourire percer dans les reproches. Elle était fière, sa mère.

Elle l’avait élevé seule, dans leur petit trois pièces du quartier de New Cross, au cœur d’une cité HLM construite en retrait de la grande artère qui va à Lewisham, vers le Tesco. Doué pour les mathématiques, il était parvenu à passer assez brillamment ses examens, et, bien que rien ne le prédisposait à travailler dans la finance, Stewart avait trouvé un stage à LaBank, auprès d’un analyste au Middle-Office, et ça avait été la révélation.

Le soir, alors que ses collègues rentraient chez eux, il restait, épluchant les brochures de formation sur les différents produits, prenant des notes. Son manager Andy le testa plusieurs fois dans la journée en se montrant assez sec, mais Stewart s’accrochait. Il lui demanda, un jour, de travailler sur le PnL (valorisation quotidienne des positions). Stewart s’en est très bien sorti, et il le recommanda à la DRH. Le marché des dérivés explosait, on était en 2004 et LaBank recrutait. Un marché notamment, les CDS, commençait à s’imposer: il fut immédiatement mis dans la toute petite équipe. Intelligent, il travailla sur les procédures de validations, écrivit quelques macros Excel qui permettaient de simplifier certains calculs. Il se révéla vite être un as du contrôle au moment où les traders, eux, semblaient agir en dehors de tout contrôle. Il devint le manager de cette équipe en 2007. Il fut transféré fin 2008 au Forex, toujours au contrôle.

Il tirait un réel orgueil de son ascension et en 2010, à 27 ans, avec un salaire annuel de 80.000 livres hors prime, il voyait son avenir tout tracé. Par tradition familiale, il avait d’abord été assez Labour, mais désormais, son cœur était résolument Tory, conservateur. Il gardait un petit béguin pour Sandrine qu’il avait rencontrée en 2005 par des amis communs, alors qu’elle travaillait encore pour la Société Générale, à Paris. Ils étaient sortis ensemble quelques temps, mais s’étaient séparés d’un commun accord et étaient restés amis. Elle était finalement rentrée à LaBank fin 2007, aux bureaux parisiens d’abord, et quand elle avait été transférée à Londres, ils avaient pris l’habitude de se retrouver tous les matins.

Il caressait parfois un très vague espoir, qu’un jour, peut être…

Il l’aimait bien, sa Française.

Dans l’immense plateau aux murs vitrés dominant sur le Dockland que les traders entourés de leurs quatre écrans partagent avec les équipes de Middle Office avec leurs deux écrans, l’ambiance est excellente. Ici, les supporters du Labour ont cette année été très discrets.

Cette année, on a voté pour la réduction des déficits et les coupes dans les « coûteux » et « inutiles » programmes sociaux du gouvernement Labour. On a voté pour « mettre fin à l’assistanat ». On a voté Tory.

Pablo

Pablo valide la mise à jour.

Depuis six mois, il a trouvé un travail quelconque dans un bureau, à New York. C’est Melissa qui l’a mise en relation. Il loge chez deux jeunes qui ont acheté un appartement il y a 5 ans mais qui, ayant des problèmes avec le remboursement de leur crédit, en louent une partie. C’est un peu bruyant, mais il a décidé de vivre la vie comme elle se présentait. Le soir, il se précipite à la maison et c’est là que commence son vrai travail.

Il a repris la gestion du blog de Melissa.

En fait, il a totalement repensé l’interface: il s’est formé lui-même à tous les langages du net, à Flash, au html5, et il lui a proposé de se s’occuper de son blog politique. Il s’est jeté dans tout cela alors qu’il habitait encore à Baltimore, travaillant à mi-temps dans un fast-food. Un jour, il avait dit à Melissa et Roger qu’il voulait leur rendre d’« avoir été là », un jour où, au bout du rouleau après avoir été licencié de Fantastic Homes Real Estate, après avoir erré d’états en états, il avait échoué, à moitié drogué et ivre, dans un bar de Baltimore. Il avait regardé le petit groupe de supporters d’Obama, et puis il s’était mis à pleurer en écoutant leur enthousiasme. Melissa et Roger l’avaient d’abord pris pour un malfrat, avec ses vêtements sales, ses lunettes Dior et sa BMW, et puis ils avaient fini par sympathiser.

Le site est maintenant totalement méconnaissable. Melissa et d’autres jeunes économistes de gauche, néo-keynésiens, y écrivent de violents réquisitoires contre le consensus social et politique, évitant autant que possible d’attaquer le Président Obama, non pas parce qu’ils le soutiennent, mais pour ne pas rajouter à l’ambiance délétère qui domine. En revanche, ils promeuvent une autre façon de penser l’économie et le lien qu’elle entretient avec le politique, renouant avec un discours progressiste qui avait disparu. Parmi eux, un jeune marxiste de l’Université de Berkeley, un peu allumé, qui n’a accepté de les rejoindre que s’il pouvait avoir le droit de dire ce qu’il voulait. Certains articles sont repris sur le HuffPost.

Pablo s’amuse à lire ces articles, ces analyses. Il ne comprend pas toujours tout, mais il partage avec eux, il l’a vécu, un profond scepticisme envers le système livré à lui même, l’envie d’une vraie protection sociale pour tous. Et puis tous ces républicains racistes, comme Michele Bachman ou Sharen Angle

Alors qu’il a les yeux rivés sur les informations financières, il voit soudain l’action General Electric décrocher de 10, puis 11, puis 12%… Il va sur Bloomberg, et il voit alors le Dow Jones plonger de plus de 5%, puis 6%, puis 7%… Mais que se passe t-il?

Fin de la quatrième partie

Depuis que les CDO ont commencé à décrocher en 2006, au même moment où un certain nombre de Cassandre hurlaient dans le désert que nos économies allaient dans le mur suite à l’éclatement de la bulle immobilière et à la surabondance de crédits, une suspicion a commencé à planer autour des activités de certaines banques et de certaines pratiques.  

Ainsi, les Special Vehicule Purpose (SPV), entités juridiques destinées à prendre la totalité du risque contrepartie et ainsi sortir certaines créances du bilan comptable des banques pour masquer des pertes, sortir des actifs à l’origine ou à la valeur douteuse, réaliser à partir de ceux-ci des opérations risquées, et/ou faciliter l’évasion fiscale, le tout généralement domicilié aux Iles Caïman. En 2009, grâce à cette pratique comptable et malgré des profits colossaux, Goldman Sach ne fut quasiment pas imposée.

Ainsi le TARP, ce programme de 770 milliards de dollars destiné à soutenir le secteur financier, ainsi que le Quantitative Easing, ce rachat massif par la Federal Reserve de CDO, de ABS et de MBS à la valeur douteuse et la toxicité évidente (très fort risque de faillite globale du produit, avec impossibilité à retrouver la somme investie), en contrepartie de lignes de crédit quasiment illimités à zéro pour cent, initié par Ben Bernanke afin de mettre en pratique les analyses de Milton Friedman sur le krach de 1929 (pour qui la déflation aurait résulté d’une insuffisance de liquidités et non d’une quelconque crise, donc de décisions erronées), ont suscité de réelles interrogations.

Tout d’abord, les auditions pratiquées par le Congrès US pour essayer de comprendre ce qui s’était passé ont donné lieu à des échanges surréalistes, où la responsable des opérations de contrôle comptables à la FED, entourée de ses avocats, étalait son ignorance face au démocrate Alan Grayson sur le montant exact, que Bloomberg estimait à 9 trilliards de dollars, ainsi versés aux banques. Les blogosphère libertariennes (néo-conservatrices, Tea Party) et keynésiennes (de gauche) ont hurlé au détournement de fond et aux gangsters dans une indifférence générale.

Ensuite, il y a eu très vite des questions quand à l’affectation de ces lignes de crédits de montants colossaux à la traçabilité douteuse. L’envolée des bourses asiatiques à partir de la seconde moitié de l’année 2009, a alimenté cette suspicion, au moment où, aux USA, les mêmes banques qui affichaient désormais d’incroyables profits augmentaient les taux d’intérêts des cartes de crédit et se refusaient toujours à aider les petites entreprises. Certains économistes ont assuré qu’une grande partie était investie à l’étranger, et ne servait en rien à aider les banques à prêter et ranimer l’économie américaine.

Quand Pablo, ce jour de mai 2010, découvre la chute soudaine de la bourse, son premier réflexe est de penser que ce sont les doutes sur le montant réel du déficit budgétaire grec.

Le gouvernement du nouveau premier ministre socialiste Papandréou a en effet découvert que la comptabilité du pays réalisée par les conservateurs, ces dix dernières années, était entièrement falsifiée grâce à des swaps et différents jeux d’écriture comptables réalisés avec l’aide de la banque américaine Goldman Sachs.

En annonçant cette découverte, le socialiste espérait rassurer les marchés financiers. Il annonça un programme d’ajustement budgétaire principalement axé sur le rognage de niches fiscales clientélistes.

Les riches commencèrent à sortir leurs capitaux, et le financement du déficit public devint un motif d’inquiétude. Le premier ministre prit quelques décisions impopulaires en exhortant l’Europe de l’aider, ce que cette dernière se refusa à faire, estimant, comme Madame Lagarde, ministre française de l’économie, qu’il s’agissait d’une problème intérieur. Des manifestions monstres et des troubles traversèrent Athènes.

En mai 2010, on en est là.

Le plongeon de Wall Street s’amplifie de seconde en seconde. Pablo met alors CNBC et voit le commentateur financier vedette Jim Cramer en mode panique, hésitant entre le désir de dire aux gens d’acheter, car les prix deviennent ridiculement bas sur quelques titres, et un énorme doute. Wall Street continue sa plongée. 9% désormais, et ça ne semble pas s’arrêter. Les bourses européennes se mettent à décrocher. Une réelle panique saisit le plateau de télévision. Le cœur de Pablo se met à battre, c’est une abdication du marché, vient de dire Jim Cramer. On évoque Lehman, on redoute un écroulement total, on approche 10% de pertes en quelques minutes, du jamais vu.

Et puis soudain, ça remonte. Inexplicablement. Tout cela a duré quelques minutes, dont un plongeon radical sur quelques titres pendant deux minutes.

Wall Street vient, officiellement, de connaitre son premier Flash Krash. Les jours qui suivent, tout le monde essaie d’analyser ce qui s’est passé. Et c’est la consternation quand on découvre que les grandes banques comme JP Morgan Chase (promoteur de la CDS) et Goldman Sachs, ont développé de nouvelles techniques de trading : le High Frequency Trading.

High Speed Trading

Depuis plusieurs années, les grandes banques proposaient leurs services sur du High Speed Trading, grâce à l’utilisation de la fibre optique et des connections ultra-haut débit. Les traders à Londres ou Paris pouvaient donc très rapidement passer un ordre d’achat ou de vente, le valider, le tout était transmis en quelques millièmes de secondes aux puissants serveurs localisés juste à côté des serveurs de Wall Street où depuis que ce système a été mis en place, le prix du mètre carré atteint des sommets vertigineux.

Mais désormais, l’innovation de la vitesse de transmission est doublée de la vitesse de passage d’ordre lui-même.

À l’aide d’algorithmes puissants, les traders définissent des scénarios d’achats et de vente dans des canaux d’évolution extrêmement réduits dont ils modèlent des scénarios d’évolution. On peut ainsi acheter et vendre le même titre 1000 fois, deux mille fois, trois mille fois dans la même journée, en réalisant de micro-plus values qui, additionnées, donnent de juteuses plus values.

Beaucoup suspectent que la hausse des bourses depuis le plus bas de mars 2009 a principalement été réalisée de cette façon, que cette technique a tiré les titres vers le haut en recréant du volume de transaction au moment où toute l’activité était gelée. Beaucoup de volume certes, mais virtuel. Car 3000 transactions d’un même acheteur/vendeurs sur un titre, ça fait beaucoup, mais cela reste, finalement, un seul acheteur vendeur…

La commission d’enquête mise en place par la Security Exchange Commission, le gendarme de la bourse mis en place à l’époque du gouvernement Roosevelt, ouvrit une enquête. Le Flash Krash fut en fait un gigantesque « embouteillage » informatique d’ordres de ventes un jour de baisse normal. On découvrit également qu’il y en avait régulièrement, de l’ordre de quelques secondes, sur une valeur seulement, passant donc inaperçus. Le doute s’installa à Wall Street.

Pablo a halluciné, mais les jours qui suivent, ses amis et lui sont consternés : ils comprennent que non seulement la leçon de 2008 n’a pas été tirée, mais qu’au contraire on a repris de plus belle. Avec l’argent du contribuable. Pour les banques, désormais, c’est risque zéro.

George

Georges et ses amis arrivent à Las Vegas dans le bus affrété par American For Prosperity. La réforme du système de santé est de plus en plus compromise. L’option publique a été abandonnée. Désormais, ce seront les assurances privées qui se chargeront de cette sorte d’assurance universelle. Elles ne pourront toutefois exclure personne, ni en cas de maladie pré-existante à la signature du contrat, ni en cas d’antécédents de santé, comme elles le font. Elles devront couvrir les opérations, les traitements lourds et ne pas discuter leur nécessité comme elles ont tendance à le faire en radiant des gens trop malades. Elle devront consacrer 85% des cotisations à leurs souscripteurs et donc réduire leurs frais et la distribution des dividendes. En échange, le gouvernement fournira une incitation fiscale pour permettre à chacun, individu comme entreprise, de souscrire. Mais même cela, les républicains et les Tea Party n’en veulent pas.

Les assurances déversent des milliards en publicité contre « Obamacare », relayant les attaques du parti républicain, lui même calquant son opposition et sa rhétorique sur celles des Tea Party. L’une des attaques majeures, au delà de la réforme elle-même, est son coût, ainsi que son impact sur la dette et sur les impôts.

George descend du bus. C’est lui qui va parler au nom de sa délégation à Sharon Angle.

— George, ta perruque!

— Mais arrêtez, oh, je vais pas porter ça!

— Mais si, tu es un patriote, un descendant de Franklin! Tiens, prend aussi la déclaration d’indépendance, on postera les photos sur Twitter.

George s’exécute, et soudain, un vertige le prend, il tombe. Son chapeau le protège toutefois.

— George, ça va?

Il est engourdi. Il entend les voix comme à travers du coton. Il s’évanouit. Il se réveille dans une chambre blanche, sa femme à ses côtés. Elle a les yeux rouges, le teint blême.

— Ça va?

Il n’arrive pas à parler. Il est comme assommé. Il tourne la tête et voit un grand bouquet de fleurs. Une carte signée par Sharon Angle dépasse. Il esquisse un sourire.

— Il va falloir que tu sois opéré. C’est un cancer…

Georges a entendu le mot comme dans un rêve.

— Comme ton père. La prostate.

George revoit son père l’espace d’un instant.

— Le docteur a faxé la demande à Health Mutual, on attend la réponse. Mais le docteur dit que tu as 57 ans, ça va bien se passer. J’ai appelé John, il peut s’occuper du garage jusqu’à ton retour. On t’a transporté en ambulance, tu étais dans le coma… Tu te souviens plus, hein…

George ne se souvient de rien. Juste le chapeau sur sa tête, et une terrible impression de lourdeur. Le médecin entre et fait un signe à sa femme. George tourne la tête dans sa direction. Putain, un nègre, qu’il pense.

— Voilà, nous venons de recevoir la réponse de Health Mutual, madame. Et ils ne veulent pas prendre en charge l’opération. Voilà.

— Mais…

— Je suis désolé, madame, ça arrive souvent, vous savez. Le père de votre mari est mort du même cancer, l’assurance considère cela comme un antécédent.

— Mais on a toujours payé… On ne peut pas, je ne sais pas moi…

Elle se tourne vers George, désespérée.

— Je suis désolé, madame. Si la nouvelle loi proposée par le président Obama était en vigueur, votre assurance ne pourrait pas refuser de payer les 6000 dollars, mais pour le moment, ils le peuvent. Pouvez vous payer?

Betty dévisage le docteur. Son visage exprime des sentiments contradictoires, entre haine, désespoir et incrédulité.

— Pourquoi parlez-vous de l’Obamacare? Je ne vous crois pas! On a toujours payé, c’est vous qui avez trafiqué pour ne pas que l’assurance nous rembourse. Je vais les appeler.

— Madame, je ne profite pas de la situation. Croyez-moi… Pouvez-vous payer ?

— Non, euh… Oui… Je vais téléphoner. Laissez nous seuls!

Le docteur se retire.

— Ce macaque a trafiqué quelque chose, il me dit que l’assurance ne veut pas rembourser parce que ton père a eu le même cancer.

George regarde sa femme. Il voit l’expression sur son visage.

— Je vais téléphoner. Reste ici.

L’assurance confirme la décision. La personne au bout du fil lui dit même de ne pas insister car George a fait une fausse déclaration il y a 20 ans en ne déclarant pas le cancer de son père, et que si elle insiste, l’assurance les poursuivra pour avoir fait une fausse déclaration.

C’est elle, qui a rapporté l’antécédent, sans penser à mal, lors de l’admission à l’hôpital.

Vite, trouver 6000 dollars.

La nuit suivante, elle ne trouve pas le sommeil. Levée tôt, elle va à la banque, liquide leurs économies. Elles ont perdu 37% de leur valeur, elle ne sait pas très bien pourquoi, ils avaient toujours suivi les conseils du conseiller et elle entend partout que la bourse a remonté. 4500 dollars. Elle ne veut pas toucher à l’assurance, mais devant le refus du banquier de lui accorder un prêt, « votre époux ne va peut être pas s’en remettre, madame, nous ne pouvons pas prendre ce risque », elle y est bien obligée. Celle-là a perdu 31% de sa valeur. Le conseiller lui dit qu’elle était principalement investie en fonds monétaires, généralement très sûrs, mais que comme on y avait mis des subprimes, la valeur avait fortement baissé. En quittant le banquier, sans vraiment s’en rendre compte, elle constate que la banque a été redécorée à neuf, qu’il y a de nouveaux ordinateurs et de nouveaux bureaux.

Elle pense à leur fils John, qui a perdu son travail chez Ford il y a deux ans et qui travaille avec eux au garage, et qui leur a demandé d’acheter un nouvel ordinateur pour faire la comptabilité, mais l’investissement leur avait semblé superficiel. Trop cher.

Betty n’a pas le temps d’être désespérée. Elle court à l’hôpital et paie la facture. Le docteur a joint une demande d’aide sociale qui pourrait éventuellement prendre en charge 2000 dollars. Il a noté également l’adresse et la date de venue d’une Free Clinic, ces cliniques gratuites basées sur les dons et le bénévolat. Il a laissé un petit mot expliquant que le traitement serait très coûteux, mais qu’il verrait ce qu’il pourrait faire pour lui délivrer un mois de traitement là-bas.

Elle a envie de pleurer. Sauvée par un nègre…

Fin de la cinquième partie

Hier soir, Stewart est allé dans un restaurant vers Bermondsey avec Sandrine. Ensuite, ils ont marché le long de la Tamise jusqu’à la Tate, et puis enfin ils ont pris un cab et sont rentrés ensemble dans le nouvel appartement de Stewart vers Regent Park, pas très loin de la gare de Paddington. Un appartement pas très grand, au deuxième étage, juste deux pièces et 50 mètres carrés, mais dans un Georgian qu’il a acheté aux enchères à l’automne dernier, le jour même où les Républicains reprenaient le contrôle du Congrès aux États Unis. Une aubaine. Les précédents propriétaires avaient l’acheté au prix fort en 2006, avant d’être expropriés quand le mari avait perdu son emploi dans une agence de publicité, en 2009. Retenu près de 2 ans pas la banque, sa vente avait finalement été assez expéditive et le prix bradé, avec une décote de 50 %.

Un grand salon très clair avec une belle hauteur sous plafond, du parquet ancien totalement remis en état, une magnifique cheminée, deux très belles fenêtres donnant sur la rue calme par devant, et une chambre presque aussi grande dans laquelle Stewart avait installé un bureau, deux grandes fenêtres aussi donnant sur le backyard que la vieille propriétaire du rez-de-chaussée entretenait avec soin : des roses, beaucoup de roses.

Sandrine et lui se sont remis ensemble un peu par hasard, après avoir visité la Wallace un matin, puis le musée Sherlock Holmes l’après-midi.

Il s’était toujours promis d’habiter ce quartier, depuis l’enfance, quand il allait se promener avec grand’ma Elisabeth à Selfridges. Elle détestait Harrod’s et préférait la discrétion simple du quartier de Marble Arch, qu’elle trouvait plus « française », avec Hyde Park pas très loin où ils mangeaient tous les deux des sandwiches au jambon et à la Marmite avant de continuer jusque Paddington pour prendre le thé.

Elle avait grandi dans le quartier ouvrier de Whitechapel, à l’est de Londres, fortement touché pendant le Blitz durant lequel elle perdit son père et sa mère, vivant dès lors à droite à gauche, et se retrouvant à 16 ans serveuse dans un pub de Soho qui alors abritait la France-Libre. Un oncle avait un jour raconté à Stewart qu’elle aurait même eu une aventure avec un comédien français qui parlait pour la France-Libre à la BBC, Pierre quelque chose, mais personne ne savait si c’était vrai, ni ne connaissait ce Pierre quelque chose.

Elle était devenue infirmière à partir de 1944 et avait finalement accompagné l’avance des Forces de la Libération en Normandie jusqu’à Paris. C’est là qu’elle avait rencontré celui qui deviendrait le grand-père de Stewart, Anthony, un Londonien du quartier plus middle class de Kennington avec qui elle se maria en 1947.

En effet, dans l’Angleterre « socialiste » de l’Après-guerre gouvernée par Clement Atlee, les rigides verrous des classes sociales caractéristiques de la société britannique s’étaient estompés, avant qu’ils ne commencent à revenir à partir des années 80 sous Margaret Thatcher.

Elle travailla comme sage-femme, puis infirmière pour le NHS (National Health Service, le service de santé nationalisé en 1945 et mis en place après la guerre, procurant une médecine gratuite pour tous et de grande qualité jusqu’à Margaret Thatcher) jusqu’en 1991, Anthony, comme employé d’une compagnie d’assurance, ils eurent trois enfants et vécurent d’abord dans une maison en location vers Bethnal Green avant de s’acheter leur propre maison dans le quartier de Hampstead.

Bien qu’elle fut comme beaucoup de personnes de sa génération une « rouge » acquise aux travaillisme, une fidèle de Tony Ben et de Ken Livingstone, Stewart vouait une véritable admiration pour sa grand-mère qui nourrit en lui le rêve d’une France imaginaire et cultiva ce goût de l’effort propre au travaillisme britannique, cette fierté acquise par le travail.

Il eut immédiatement le coup de foudre pour Sandrine. La rousseur de ses cheveux, ses tâches de rousseur peut être, qui lui donnaient un petit côté écossais. Leur séparation l’avait blessé, mais voilà que finalement ils étaient tous les deux réunis. Ce transfert à Londres avait exhaussé ses rêves.

Il devait tout à LaBank.

Ce matin, il avait laissé la jeune femme dormir, s’était fait un café, avait allumé la télévision un peu avant 6 heures et avait appris la nouvelle, mais désormais, ce que montraient les images dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer. Une lame balayait les côtes du Japon après que le pays eut été frappé par un tremblement de terre d’une rare violence. Paralysé, son café devant lui, il ne remarqua pas que Sandrine était désormais derrière lui.

— Qu’est ce qui se passe, c’est où ?

Il tourna la tête. Elle vit des larmes couler sur ses joues.

Betty

Depuis la mort de George, Betty n’est plus la même. Elle a du se séparer du garage, trop lourd à gérer. Et leur fils John a finalement retrouvé un travail, temporaire et mal payé, à General Motors, désormais remis sur pieds grâce à la nationalisation de 2009.

Elle a laissé tomber les Tea Party. Elle a bien sûr voté pour le candidat conservateur aux élections, mais désormais ses sentiments sont plus au dégoût qu’à l’engagement. Elle a le sentiment d’avoir été utilisée. Et puis, maintenant que la réforme de santé est passée, elle est beaucoup moins intransigeante car la mésaventure avec Health Mutual lui a ouvert les yeux. Du dégoût.

Comme elle, des milliers de militants des Tea Party abandonnent la politique. Ils ont envoyé une majorité républicaine au Congrès, et parmi les nouveaux élus, beaucoup d’ultra conservateurs qui désormais bataillent pour réduire les dépenses de l’état qu’ils rendent responsable des déficits et de la dette, couper les budgets sociaux, déréguler les assurances publiques (Social Security – la retraite minimum, Medicare – assurance maladie publique pour les plus de 65 ans et Medicaid – assurance maladie publique pour les personnes à très faible revenu) et équilibrer le budget.

Mais certains parmi ces électeurs ne comprennent pas bien cette insistance à garder les baisses d’impôts des plus riches quand le budget est un véritable gouffre, ou à laisser les banques en l’état.

Le message n’est plus très clair et l’énergie de 2009 se dissipe.

Meanwhile…

Au Congrès, toutefois, dès janvier 2011, la nouvelle majorité ultra-conservatrice est bien décidée à peser.

Elle pratique le chantage aux allocations chômages, qu’elle menace de ne pas prolonger si les baisses d’impôts de l’époque de George Bush ne sont pas reconduites.

Le Congressman Perry double tout le monde sur la droite en proposant de supprimer Medicare et le remplacer par des coupons de réduction d’impôts.

Les enquêtes d’opinion sont sans appel, ce type de politique est rejetée par une majorité d’américains, même républicains, ce qui n’empêche pas le président Obama de proposer d’intégrer quelques éléments du plan Perry dans son propre plan de réduction des déficits, ni certains républicains ultra-conservateurs de vouloir aller encore plus loin en remplaçant les impôts par de la TVA.

En mai, les USA sont virtuellement en état de défaut de paiement, ne parvenant à payer les intérêts de leur dette que grâce à des astuces comptables et le recours à de nouveaux emprunts, et un vague regain de croissance économique. Une reprise qui, dès le mois de juin, commence toutefois à s’essouffler sous l’effet de l’arrêt de la faible stimulation économique de 2009. Les banques, continuant de porter ces millions de prêts adossés à des maisons hypothéquées, rechignent toujours à prêter.

Alors que les sites ultra-conservateurs comme Zéro Hedge continuent à critiquer la politique de Ben Bernanke et appellent de plus en plus ouvertement à faire défaut sur la dette, à supprimer Medicare et à laisser les banques faire faillite, la gauche américaine commence à redresser la tête.

La reprise économique anémique et la richesse arrogante de quelques-uns alimentent en effet une narration nouvelle, inédite depuis les années 70. Mieux, la gauche parvient à greffer son discours sur les critiques de l’establishment des Tea-Party.

Le réalisateur Michael Moore, désormais régulièrement invité par Keith Olbermann, qui, après s’être fait licencié par MSNBC en janvier 2011, a vite retrouvé une chaîne indépendante sur internet, critique désormais ouvertement le président Obama, qu’il met dans le même sac que les financiers de Wall Street.

Alors que l’attention des « Beltway Media » (la presse grand public liée au pouvoir politique et financier, dans laquelle la journaliste Rachel Maddow inclut même le Huffington Post) se porte sur l’impossibilité des deux partis à trouver une solution au plafond de dette qui doit être voté début août au plus tard, les expédients trouvés depuis mai ayant leur limite, cette blogosphère composée de blogs et sites interconnectés où, pour la première fois, les divergences enrichissent le débat, relaie des statistiques économiques jusqu’ici peu popularisées

Comme par exemple la baisse continue des revenus depuis 30 ans, l’explosion des revenus du un pour cent le plus riche (de 1% se partageant 10% de la richesse à l’époque du « socialisme », c’est à dire de Kennedy à Carter, à 1% se partageant 60% de nos jours), la stagnation pour les 40% de moyens, et la précarité qui menace tous les autres.

Pablo ne chôme pas : le site de Robert et Melissa est très fréquenté désormais, et il semble qu’une véritable ébullition intellectuelle mais aussi militante est en train de saisir les jeunes troupes qui avaient placé leurs espoirs en l’élection de Barack Obama il y a trois ans, et qui désormais ne se sentent plus du tout redevable de son bilan.

La gauche, un peu partout dans le monde, regarde en s’interrogeant les révolutions arabes alors que le discours dominant relayé par les médias tourne autour de plus d’austérité et de sacrifices pour le plus grand monde, que la Grèce fait face à une explosion sociale proportionnelle à la chute de son PIB consécutive à l’application d’un plan d’austérité jusqu’alors inconnu en Europe mais caractéristique des politique du FMI depuis des décennies (- 2 % en 2009, – 4,5 % en 2010, – 6 % prévus en 2011 et des projections entre -2% et – 3% en 2012).

Dans la gauche profonde, pas celle des élites, il y a un sentiment de révolte qui monte, à voir les banquiers disculpés malgré leur responsabilité et le coût de leur sauvetage d’une part, et le prix à payer pour des populations civiles qui ne sont pas responsables de tels agissements, d’autant que les baisses d’impôts qui ont ruiné les états ont principalement profité au 30% des plus aisés quand les privatisations et le reculs des services publics ont fait reculer le niveau de vie du plus grand nombre. En septembre, des statistiques donnent 35% de français qui ne vont plus chez le médecin.

Ce qui n’empêche pas l’explosion du déficit de la sécurité sociale.

Sandrine

Au travail, Sandrine ne chôme pas. Depuis quelques mois, les évolutions des taux dans la zone euro sont erratiques. Elle a de plus en plus peur que la Grèce ne fasse défaut, ou pire, l’Italie. Sa banque est très exposée. Certains jours, les taux moyens atteignent des niveaux impossibles, plus de 50 %!

De plus, la mise en place d’une politique d’austérité en Grande-Bretagne ne donne pas le coup de fouet espéré par Andrew et d’autres. La faible reprise est visiblement en train de céder la place à une nouvelle récession, mais ce qui est le plus surprenant et que cette récession s’accompagne d’inflation : la chute de la Livre renchérit le coût des biens importés, or, la Grande-Bretagne s’étant spécialisée dans les services depuis Margaret Thatcher, on n’y produit plus rien, on y importe tout. Loin de favoriser les exportations et donc stimuler la croissance, la dévaluation de la monnaie accélère la chute du niveau de vie général et accroît les pressions déflationnistes sur l’économie en générant au même moment de l’inflation. Car hormis les importations, le pays s’enlise dans la baisse des prix immobiliers, rendant encore plus difficile la situation de ce secteur qui avait été le moteur de l’expansion et de la bulle des années Blair.

Sandrine est inquiète car dans la finance, désormais, les plans sociaux se multiplient.

Stewart

Vendredi 5 août 2011. Stewart n’a rien vu venir. Ou plutôt si. Deux opérations successives mal débouclées et qui ont coûté à la banque. Il n’y était pour rien, mais c’était son équipe, et ses qualités managériales ont été mises en cause. Andy a quitté LaBank pour une rivale américaine, et Stewart a ainsi perdu un précieux soutien : son ascension n’a pas toujours été bien vue par d’autres, plus âgés ou mieux diplômés que lui. Et ça, dans ce métier, c’est une vraie catastrophe.

La convocation est très courte, juste quelques minutes. L’indemnité sera, elle, assez confortable. On lui propose 6 mois de salaire. C’est à prendre ou à laisser.

— Mais je vais vous attaquer en justice !

— Vraiment ? Bon, alors on va regarder la journée du 16 mars… Tu expliques ça comment ?

— Mais va te faire foutre, tu sais très bien que c’est eux qui ont planté le paiement !

— Ah bon ? Mais c’était nous qui payions !

— Mais tu sais bien, merde, joue pas au con, merde! Tu sais bien qu’ils nous ont pas passé leurs instructions de paiement !

— 200 millions d’euros ? Tu as laissé ça comme ça…?

— Mais merde, tu le sais bien, on était dans la merde avec les incidents après le tremblement de terre, on avait des paiements à régulariser…

— Écoute, ça c’est ton problème…

— Tu le sais, merde, on était dans la merde depuis vendredi…

— OK… Mais alors, ici, regarde, pourquoi les Portefeuilles ne sont pas clos le 28 avril, mais ouverts jusqu’au 6 sur le yen ?

— Mais merde, ce sont les traders, vous le savez tous les deux, j’ai envoyé des mails… Ils ont tout booké à l’envers ! On n’a pas vu ça avant 4 heures de l’après-midi, ils étaient tous barrés, et après, Tôkyô était fermé plusieurs jours, on n’a pas pu faire reprendre par New York comme on fait d’habitude… Merde, c’est du yen, ça coûte rien!

— Stewart, tu te calmes, ok ? Tu nous parles pas comme ça.

— Dans ton équipe, on bosse comme des porcs. T’as qu’à aller retrouver ton pote Andy ! Moi, je l’ai toujours dit, tu ne faisais pas l’affaire!

— Vous voulez dire que l’UAT (final User Application Test, test d’une application avant sa mise en service) foireuse, c’est de ma faute, alors que vous savez bien qui c’est qui l’a plantée. Personne ne savait comment utiliser cette appli quand je suis arrivé ici, même qu’on m’a refilé l’équipe pour ça, hein, moi j’étais au Forex, alors, hein, et on a du gérer la migration des trades (contrats) et la saisie des nouveaux trades en même temps, les traders ont confondu vendre et prêter par habitude, ils ont tout saisi à l’envers…

Peine perdue, le sort de Stewart est jeté. Il retourne à son poste, ne prend pas les appels de Sandrine sur son portable. Sa banque vient d’annoncer un plan d’économies avec 3000 suppressions de postes étalées sur 2011 et 2012. En Grande-Bretagne, les licenciements sont faciles. Stewart s’en est d’ailleurs plusieurs fois vanté.

Il retourne à son poste. À la une du Telegraph, sur son bureau, un bref article relate un incident survenu la veille dans un poste de police vers Tottenham.

Mais en titre du Financial Times dans son sac, la crise grecque reprend le dessus après que le congrès US ait finalement décidé de relever le seuil maximal de la dette, permettant au pays de s’endetter encore plus. Parallèlement, un programme d’économies à été décidé. Cela n’empêche pas une baisse de la qualité des obligations américaines par S&P.

Aucune hausse d’impôts, mais des rognages supplémentaires dans les budgets sociaux, en revanche.

Bouts de ficelle

Aux USA, le taux d’imposition sur le revenu est le plus bas depuis les années 1920 : encore une de ces statistiques relayée par les activistes de la gauche américaine qui désormais accusent ouvertement Obama d’avoir bradé Medicare et les allocations de chômage. Ils l’accusent d’avoir laissé ainsi sacrifier, depuis trois ans, de nombreux emplois publics dans l’éducation ou la police : 47 états sont dors est déjà en quasi-faillite et ne survivent qu’en licenciant les fonctionnaires à la veille des vacances, les réembauchant parfois par la suite, en fermant des hôpitaux ou des services. Dans certains états, on veut quasiment interdire les syndicats des employés publics. Et en 2010, des pompiers ont laissé bruler une maison car son propriétaire, qui pourtant payait ses impôts, n’avait pas payé la « taxe pompier ».

Et l’état fédéral laisse la situation se dégrader sans imposer une augmentation des impôts des plus riches, ces un pour cent qui se partagent plus de 60 % de la richesse nationale.

Alors, maintenant que les USA sont, en tout cas pour quelques temps, sortis d’affaire, alors que les spécialistes s’attendaient à un « rallye » (une hausse de la bourse qui généralement est de courte durée et célèbre une bonne nouvelle), on assiste à un nouveau plongeon des bourses : la réaction américaine à mis en évidence l’indécision européenne, l’incapacité à trouver une solution à sa dette.

La Grèce désormais est acculée à emprunter à trois mois car il lui est difficile d’accepter les 12 ou 13 % d’intérêt pour emprunter à 10 ans. Alors, les taux à trois mois s’envolent, et on dépasse désormais parfois les 20 %, avec des pics à 30% et plus pour les emprunts à deux ans. Plus la Grèce coupe dans ses budgets sociaux, plus elle baisse les salaires, et plus l’activité économique s’effondre, faisant baisser les rentrées fiscales quand l’envolée des taux rend la dette encore plus lourde malgré la baisse du déficit.  Trois ans de récession, une destruction de près de 15% de la richesse, une explosion du chômage et de la pauvreté, des malades qui ne peuvent plus se faire soigner, une amorce de privatisation générale de l’économie.

Le marché des CDS est, dans ce contexte, reparti de plus belle, cette fois pour assurer les obligations d’états. Le Portugal, l’Irlande et l’Espagne sont désormais victimes des mêmes craintes : les « marchés », c’est à dire les banques et les Hedge Funds qui jouent avec la « crainte » de voir un état ne pas être en mesure de rembourser ses intérêts, exigent toujours plus de garanties. La plupart des états décident donc dans l’urgence des plans d’austérité, les plus conservateurs en profitant pour privatiser encore plus, déréguler encore plus. Certains suggèrent à la Grèce de vendre des îles. Pourquoi se gêner?

Les peuples sont comme assommés, des manifestations se développent en Grèce sans que se mouvement ne semble se généraliser. Ce qui est sûr désormais, c’est que, privée d’une activation, même très modestement, keynésienne, l’économie des pays avancés se dirige vers une nouvelle récession, réduisant encore plus les rentrées fiscales et faisant déraper encore plus les déficits, faisant monter les taux des emprunts d’état, accroissant la dette. Les mécanismes de garantie mis en place en Europe, loin de résoudre le problème, instillent des doutes sur les capacités de financements des grands états comme la France : l’écart de taux entre la France et l’Allemagne atteint 0.90% fin août, traduisant le scepticisme sur les capacités de la France à rembourser. Le serpent qui se mort la queue. Et cela tombe mal, car la Chine et la Corée, en pleine surchauffe à cause de l’afflux de capitaux qui s’y investissent – pour la plupart des capitaux initialement prévus pour stimuler l’investissement des pays en crise -, commencent à resserrer leurs politiques monétaires afin d’éviter que les bulles qui s’y sont formées n’éclatent trop brutalement.

Cette année est vraiment une année pourrie. Des révolutions dans les pays arabes, des émeutes en Grèce et un tsunami au Japon, la récession qui revient, et maintenant…

Stewart

Je suis dans la merde, pense Stewart. Il sait que ça ne va pas être facile de retrouver quelque chose. Il sait aussi que dans ce contexte, le middle office, c’est fini pour lui, qu’il n’y aura que du back office, le travail des gratte-papiers mal payés de la finance, les petits bonus. Le jeans pour aller travailler. Sa banque en vire 200 ce mois-ci, elle en a viré 200 le mois dernier. Les autres font de même.

Il regarde autours de lui. Au loin, il aperçoit la tour CitiGroup, et puis le suppositoire et même un peu le London Eye.

Le soir, seul, il prend la DLR jusqu’à Charing Cross. Il croise Richard, un copain gay avec qui il allait à l’université sortant du Kudos, qui lui propose de prendre un verre dans Soho, au Compton’s. Ils ont l’habitude de se voir de temps en temps, quand l’un ou l’autre ne va pas, bien que Richard soit enseignant. Et syndiqué. Mais il avait eu un crush pour Stewart, et bien que cela n’avait pas eu de suite, ça les avait rapprochés. Stewart aimait le caractère honnête de Richard, malgré ses opinions politiques radicalement opposées.

Après avoir bu quelques pintes, ils vont manger au petit restaurant indien à la façade bleue près de The Yard ou ils vont prendre un dernier verre et se quittent vers 11 heures, Richard accompagné d’un jeune Marocain.

Stewart est saoul, il remonte Wardour Street, décidé à marcher jusqu’à chez lui, arrive sur Oxford Street quand il croise un groupe de jeunes qui courent, poursuivis par la police. Il s’aperçoit que des poubelles sont en feu. Deux policiers passent à côté de lui sans le remarquer. Il traverse et prend une des rues qui va vers la tour BT. Là, il tombe sur un groupe de jeunes qui arrachent des compteurs de stationnement.

Il les insulte, une bagarre commence.

Les autres aussi sont saouls, mais ils sont violents. Il les traite de communistes, ils le traitent de fasciste. Des coups s’enchaînent, une fille dans le groupe lui déchire sa veste, il se retourne brutalement et l’envoie valser, sa tête frappe une voiture, elle tombe. Stewart dessaoule d’un coup, il regarde les autres et sort son portable.

— Cassez-vous, j’appelle une ambulance.

La fille rouvre les yeux, les autres ne savent plus quoi faire, elle commence à se relever. Une sirène de police se rapproche.

— Merde… Par là.

Il leur indique la direction après avoir attrapé la fille. Stewart s’enfonce dans une ruelle avec le groupe de jeunes avec qui il se battait cinq minutes plus tôt. Il ne sait pas pourquoi il fait cela, mais ça a été automatique.

Sandrine

Sandrine reste immobile devant la vidéo qu’elle regarde sur YouTube. Londres est en feu tous les soirs depuis une semaine maintenant, des images incroyables. Et au milieu, un garçon qui expédie un parpaing dans la vitrine du grand magasin Nike.

Elle le reconnaîtrait entre mille. C’est Stewart.

Le mouvement des « indignés » est parti d’Espagne, il y a un an maintenant, après que la fantastique bulle spéculative ait explosé d’un seul coup, faisant plonger le pays dans la récession et s’envoler le chômage à plus de 22%.

Des jeunes, peu politisés pour la plupart, ont commencé à se rassembler pour protester contre l’envolée du chômage, les budgets d’austérité, mais aussi pour exprimer leur conception de ce que devrait être la politique. Certains sociologues ont mis en parallèle ces mouvements avec les mouvements qui se sont développés dans les pays arabes, portés par la même génération : des jeunes et moins jeunes de moins de 35 ans, généralement instruits, se sentant sacrifiés par la génération d’avant qui occupe tous les pouvoirs, mais aussi victime de la crise économique qui désormais frappe un grand nombre de pays sans que quiconque n’en voit la fin.

Ils maîtrisent les médias sociaux, bloguent et se connectent facilement les uns les autres. Ils ont l’habitude de lire et de faire circuler l’information, ils savent aussi en produire et la partager.

Les journalistes, vivant pour la plupart à l’écart de cette évolution radicale, découvrent que désormais les médias sociaux sont un moteur de l’actualité. Parmi eux, certains commencent à réfléchir à une évolution de la profession, qui consisterait non plus seulement à rapporter des faits ou des dépêches, mais également à savoir décoder les évolutions rapportées sur les médias sociaux.

Melissa et Robert

Début septembre, Mélissa et Robert ainsi que leur groupe de blogueurs viennent retrouver Pablo à New York. La blogosphère de gauche est en ébullition depuis un moment, mais comme le disait Mélissa au téléphone, tout le monde sent que c’est mûr. La déconfiture des indices boursiers, l’enlisement dans la dette, le sentiment généralisé d’injustices de plus en plus criantes, la spéculation de plus en plus ouverte, l’évidence qu’il n’y a plus rien à espérer de Barack Obama, et cette habitude prise depuis quelques années de relayer informations et analyses, tout concourt à ce que quelque chose se passe car désormais, les militants et blogueurs ont compris que s’ils ne réagissent pas, on leur fera payer encore plus cher les frasques des banquiers et les baisses d’impôts des plus riches. Quelques scandales de corruption de grands banquiers viennent rajouter au climat délétère de cette année:

— impliquant un administrateur de Goldman Sachs,

— la banque DEXIA

— les bonus des traders

— les grandes banques américaines sur le marché des prêts hypothécaires où la faillite économique déclenchée par un système dérégulé, inégalitaire et ayant sacrifié le plus grand nombre pour l’enrichissement de quelques uns va encore être payée par celles et ceux qui n’y sont pour rien.

Mélissa et Robert sont venus à New York pour retrouver des groupes qui, comme eux, cherchent à agir. Dans son film sur Wall Street, Michael Moore avait été réclamer de l’argent aux grandes banques pour aider les gens expropriés, après qu’elles eurent reçu 700 milliards de dollars. L’idée commence à circuler que c’est à Wall Street qu’est le problème, puisque c’est là que les 1% qui possèdent 60%  de la richesse du pays réalise le hold-up de la richesse produite par tous les autres.

Début juillet, un appel à occuper Wall Street circule dans la blogosphère de gauche. Keith Olbermann et Michael Moore, sans appeler ouvertement à suivre ce mouvement, multiplient les accusations à l’encontre de la communauté financière et de sa collusion avec l’establishment politique, Rachel Maddow critique ouvertement tout le « beltway media » qui manipule l’information. La gauche américaine a compris les leçons des révolutions arabes et des tea party, elle ne critique plus le parti démocrate, elle pense par elle même, tout simplement.

Melissa, si elle continue de formuler ses critiques contre le consensus ambiant et le discours sur « la dette », relaie également de plus en plus dans le détail les positions alternatives des partisans du « Green New Deal », cette politique inspirée de celle des années 30/40 en terme d’implication de l’état et de lutte contre les inégalités, faite de hausse d’impôts, proportionnels, destinés à fortement investir dans une totale reconversion de l’économie, seule à même à leurs yeux de sortir de la dépendance au pétrole, de réduire celle aux importations et de créer des emplois réellement utiles. Une autre conception de l’économie, aussi, plus morale. Démocratique.

Elle développe également les positions de la gauche en matière de santé : payeur unique (un cotisant pour toute sa famille, et non une cotisation par personne) et système public de type Medicare.

#OWS

Le 3 septembre, Melissa, Pablo et Robert se rassemblent avec un millier de gens comme eux. Leur but est de marquer l’opinion en investissant un lieu symbolique et attirer l’attention sur les vrais responsables de la crise financière afin de rendre lisibles leurs propositions alternatives. La date retenue pour se rassembler à Wall Street est fixée au 17 septembre.

Occupy Wall Street est né.

Aux USA, le débat public explose dans tous les sens. Le parti républicain en pleines primaires, est tiré vers la droite. Un populiste Afrique-américain, McCain, s’y impose, soutenu par les tea-party. Barack Obama est lui coincé entre sa base militante désormais autonome politiquement, une communauté financière et un parti républicain qui exigent toujours plus d’austérité pour le plus grand nombre, l’approche des élections et son ambition d’être un grand président.

L’Europe, elle, s’enlise dans « la crise de la dette ». Les spreads se tendent désormais sur les obligations espagnoles, portugaises, irlandaises. Mais c’est surtout leur envolée sur la dette italienne qui commence à focaliser l’attention. Les gestionnaires de Hedge Fund estiment qu’un défaut sur la dette italienne entraînerait la faillite de plusieurs banques européennes, obligeant un pays comme la France à sauver leur système bancaire. Leur dette exploserait, et ces pays se retrouveraient alors eux-mêmes dans l’impossibilité de rembourser leur dette. Le spread se tend donc sur les obligations françaises. Début novembre, la différence de taux entre la France est l’Allemagne est de 160 points, ce qui fait écrire à certains que la France à déjà perdu son AAA, et que sa dette est hors de contrôle, encourageant le premier ministre François Fillon à présenter un second plan d’économies.

De plus en plus d’économistes s’insurgent contre ce qui est à leurs yeux une pure logique comptable : les économies sensées réduire le déficit freinent l’activité, réduisant les rentrées fiscales, et creusant de nouveau le déficit. Ce déficit incontrôlable augmente le taux d’emprunt, ce qui augmente la dette, augmentant la suspicion sur les capacités à rembourser, donc pousse les taux à la hausse.

Depuis plusieurs années, en France, le coût de remboursement des seuls intérêts de la dette est supérieur à l’impôt sur le revenu. Ce sont donc les banques et les Hedge Fund qui encaîssent l’impôt.

Las, le candidat socialiste fraîchement désigné à la primaire ne semble pas rompre avec la logique à l’œuvre, déclarant vouloir régler la question de la dette autrement que Nicolas Sarkosy sans donner plus de détail, mais suggérant ici ou là que le programme socialiste nécessitera des ajustements sans, là encore, préciser lesquels. Certains voient en lui une copie de Georges Papandreou, le premier ministre Grec.

Ce dernier, acculé, coincé entre des Hedge Fund qui assurent la dette (CDS) à 30%, des pays européens qui exigent toujours plus de garanties et d’austérité, un FMI qui demande plus de rapidité dans l’exécution de la politique d’ajustement, voyant l’endettement s’envoler à cause de l’envolée des taux d’intérêts malgré une baisse du déficit et une saignée sociale sans précédent, ne voit, finalement, plus d’autre solution qu’un référendum. L’annonce fait chuter les bourses du monde entier. Georges Papandreou doit démissionner, et désormais, c’est le parti conservateur, celui qui est à l’origine de la crise grecque, qui se prépare à reprendre le pouvoir.

Quelques jours plus tard, c’est Sylvio Berlusconi qui est contraint de démissionner, non sans avoir auparavant fait voter un programme d’austérité là aussi sans précédent, rognant sur les budgets sociaux et les services publics. En Espagne, où les banques sont chargées de créances dues à l’éclatement de la bulle qu’elles ont contribué à créer, nécessitant une dépréciation de leurs avoir de près de 70% (Bloomberg, 17 novembre 2011), le Parti Populaire (conservateur) gagne les élections et s’apprête à renforcer l’austérité enclenchée par son prédécesseur socialiste dans ce pays en récession.

Partout, les mêmes politiques se mettent en place avec le même caractère paradoxal.

La finance a causé la crise, les riches ont accumulé les baisses d’impôts, les gouvernements ont encouragé la bourse en privatisant à tour de bras entraînant le monde au bord du gouffre, mais ce sont les salariés, les retraités et les malades qui doivent en faire les frais.

Nul part, les taux d’imposition ne sont remontés à ce qu’ils pouvaient être il y a 10 ans, 15 ans. En revanche, partout, les budgets de l’éducation, de la santé ou de la recherche sont visés pour faire des économies. Des économies qui servent entre autre à financer des taux d’intérêts exorbitants réclamés par ces mêmes financiers qui il y a trois ans à peine recevaient de ces états qu’ils sermonnent aujourd’hui des centaines de milliards d’aide utilisés pour l’investir sur les marchés émergents et se verser des bonus records.

Sandrine

Sandrine vient de lire la dépêche Reuters : S&P dégraderait la note de la France. Elle appelle ses parents.

— Il faut vraiment pas que les socialistes passent! Ils vont tout foutre en l’air.

— Oui, c’est ce qu’on dit ici, ton père va voter Sarkozy, on ne peut pas se permettre le désordre. Tu as vu en Amérique, quelle chienlit…

— Va falloir privatiser la SNCF et la RATP, il n’y a pas d’autre solution.

— Oui, c’est ce que dit un ami de ton père à l’UMP…

— Et tous ces fraudeurs aux allocations, hein! Ça suffit…

#OWS

À Wall Street pendant une semaine, Robert, Pablo et Melissa ont « occupé Wall Street », Robert continue encore : il est débordé, il travaille pour trois sites. Mélissa et Robert sont rentrés « occuper Baltimore », sillonner les quartiers déshérités, informer. Il y sont encore et vers chez eux, l’occupation mobilise plus de 10000 personnes qui se relaient. À chaque nouvelle évacuation, ces jeunes occupant réinvestissent l’espace, parfois plus nombreux. Des syndicalistes pointent leur nez. Mélissa informe sur d’autres politiques possibles, Robert convainc des passants, Pablo raconte ce qu’ils faisait quand il vendait des subprimes (lire Mortgage Story, dans minorites.org) : les gens n’en reviennent pas.

Stewart

22 novembre 2011. Stewart regarde la jeune fille verser l’eau chaude sur le sachet de thé. Il a mis son appartement en vente. Il ne rentre plus chez lui.

— Ça t’étonne que je parle français ?

Stewart la regarde. Sur la table, L’Etranger, de Camus, un vieux Guardian, un livre sur Clement Attlee par Tony Benn, et Le manifeste du Parti Communiste, de Karl Marx. Un cendrier, des restes de joints. Au mur défraîchi, derrière elle, un poster du Labour de 1946 qui ressemble, pour Stewart, à une affiche communiste.

Elle se retourne. Elle sourit.

— T’es vraiment un réac, hein… Moi, je l’adore, cette affiche.

— J’ai rien dit!

— Tu penses fort!

— Ben t’entends mal. Je pensais à ma grand-mère, faut que j’l’appelle!

Elle attache ses cheveux, puis elle retire le sachet de thé. C’est une tasse art deco ébréchée. Il les trouve incroyablement belles. La tasse. Et elle aussi.

— C’était bien, la France ?

— Oui, mais j’ai travaillé chez des gens riches, dans une ville à côté de Paris, pendant deux mois, et je pouvais pas trop bouger. J’ai rencontré des gens sympas, c’est marrant, cette habitude qu’ils ont de parler politique dans un pays aussi encrouté.

Il rit. Il pense à Sandrine. Une idiote, il pense, et puis il se dit qu’il est nul d’avoir pensé un truc pareil, mais il sait qu’elle ne comprendra jamais. Et pourtant, son oncle s’était suicidé à cause du krach de 1987.

Il regarde la jeune fille. Elle porte un jeans, un pull. Elle est brune, jolie. Quelqu’un frappe à la porte.

— Elisabeth, je file, n’oublie pas de payer le gaz, hein? Et puis il y a la nouvelle coloc qui vient demain, faut nettoyer sa chambre. Bye!

— Faut que je file, Stew, je commence à 11 heures aujourd’hui, et ce soir, je finis à 11 heures. Tu viens me chercher?

— Oui… Dis, Lisa… Non, rien! Quand je pense qu’on s’est rencontré alors que tu voulais me casser la gueule… J’étais vraiment con…

— Oui, t’étais super con, mais tu nous a sauvés, aussi. C’était marrant, quand on a squatté chez toi, et qu’on allait bousiller les magasins la nuit!

— C’était nul!

— Je sais… Je sais même pas pourquoi on a fait ça avec les autres, c’était pas notre truc, tu sais…

— Et moi, alors…

— Si, toi, Stewart, t’es un violent…

— Tu crois vraiment ?

— J’ai pas dit méchant…

Il la regarde depuis tout à l’heure, alors il lui dit:

— Je peux te payer tes études, tu sais…

Elle le regarde, presque en colère.

— C’est bon. Tu m’en ressors une comme ça, tu peux te casser.

— Excuse-moi, c’est pas ça que je voulais dire…

— Trouve-toi un boulot, plutôt que dire des conneries !

Il ouvre le journal. Il lit la première annonce.

— Jardinier!

Il a lancé ça un peu au hasard, il rit!

— Et alors, c’est un travail comme un autre! Bon, faut que je file…

Il se lève, et avant qu’elle ait ouvert la porte, il lui dit,

— Tu veux m’épouser ?

Fin


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