Fatigue morale, lassitude : vers le grand ressourcement ?

Samedi dernier, un clochard vers Takadanobaba. Tokyo n’a rien a envier à Paris, les clochards y sont nombreux, ignorés et isolés, force de travail bon marché pour la mafia qui les recrute pour les faire homme-sandwish (au profit des bars à putes, des patchinkos et salles de jeux, des bars-manga).

Je ne vous referai ni le coup du Japon (j’aime ça, j’aime pas ça…), ni le coup du nouveau départ sur ce blog (me revoilà, ça me manquait, etc), ni tous ces trucs dont je me moque finalement comme de l’an 40 (il faudra m’expliquer pourquoi on doit se moquer de l’an 40…). J’ai de nouveau envie d’écrire et j’espère que mon incursion par ici ne vous dérangera pas. De toute façon, vous avez toujours la possibilité de vous désabonner du flux rss si ce que j’écris ne vous plaît pas. Vraiment désolé de ne pouvoir vous aider. J’ai de nouveau besoin de moi, vous comprenez…
Qu’est-il à comprendre. Tout d’abord, je suis fatigué dans ma tête, très fatigué. Mon indicateur habituel, cette envie de mourir, de disparaître, d’en finir, s’est rallumée pour me rappeler que j’étais de nouveaux dans les terres insondables de ma dépression. C’est un bon indicateur car pour tout vous dire, je n’ai ni envie de mourir, ni envie de disparaître, ni d’en finir. Je suis d’un naturel vivant, souriant, et celles et ceux qui me connaissent savent à quel point je peux être différent d’une personne introvertie qui encaisse sans broncher jusqu’à la dernière limite humainement possible. Cette tendance suicidaire chez moi vient de ma mère et s’est manifestée pour de vrai il y a une bonne quinzaine d’années, sans que je ne m’en aperçoive (c’est le propre des pulsions suicidaires, cette propension à s’insinuer dans la vie en toute discrétion, adoptant l’apparence la plus improbable, drogue, alcoolisme, violence contre les autres, automutilation, etc bref tout ce qui progressivement enferme et rend tout nouveau progrès de la maladie inéluctable, l’échéance fatale, inévitable, en tout cas dans l’esprit de qui elle frappe). J’en suis revenu paré de la certitude qu’il n’y a pas de difficulté dans la vie qui ne puisse être surmontée pourvu qu’on la regarde avec la plus grande honnêteté vis à vie de soi. Cette honnêteté, c’est d’ailleurs ce que l’on perd en premier dans ces circonstances car pour être honnête vis-à-vis de soi, il faut être prêt à encaisser l’échec, la défaite, la honte et par conséquent avoir une estime de soi, un amour de soi, une ambition de soi, bref des sentiments à son propre égard suffisamment forts pour continuer à se faire confiance et pouvoir ainsi se relever, s’amender et continuer. Se suicider, c’est avoir perdu l’amour de soi et la confiance en soi. J’ai eu un ami qui s’est suicidé il y a une dizaine d’années. L’alcool était devenu sa dernière bouée, mais il devait y avoir au fond de lui bien peu de confiance et plus aucune estime de soi, juste la nostalgie trop floue de ce qu’il fut. Sa mort – il s’est pendu, seul, la nuit-, n’a pas seulement marqué un vide. J’ai ressenti le poids de sa tristesse, de la solitude de son « moi » perdu au fond d’un corps et dans une vie qui lui étaient devenus étrangers. Un moi que rien ni personne n’avaient été en mesure de lui rappeler que c’était son corps, que c’était sa vie et qu’il lui était encore possible d’agir et d’être le plus fort, donc, le plus beau. Un profond mépris de soi devait en fait l’habiter et seule la mort pouvait l’en délivrer. Mort, on ne souffre plus de soi.
Philippe était un garçon extrêmement gentil, honnête.
Souvent, la révolte me prend quand j’entends des hommes/femmes politiques parler de la pauvreté, de l’exclusion comme ils disent. Martine Aubry, par exemple, la reine des mains qu’il faut tendre (j’aime cette expression car sémantiquement elle a deux sens : tendre, verbe et tendre, adjectif bref cette main qu’il faut tendre mais qui est dure, rêche, sèche). Je dit Aubry puisqu’elle est la nouvelle technocrate que l’appareil sosse s’est choisi pour « être de gauche ».
La révolte me prend car leur langage reflète leur ignorance ou pire, leur complicité. Je me souviens un soir, à gare de l’est, direction Orléans. Nous attendions le métro. En face, quelques exclus (vocabulaire aubriste), bref des clochards, entre 40 et 60 ans, anesthésiés par l’alcool (tiens, eux aussi, l’alcool…). Un peu à l’écart, une femme d’environ 60 ans. C’était l’hiver et le métro est le seul endroit chaud de la capitale. Voilà qu’un homme se lève, va vers la femme, la déculotte, elle bronche, et il la saute. Ca a duré 10 secondes. 10 secondes de honte. Par pour cette femme, même pas pour cet homme, non. Pour nous. Très bien décrite par Agnès Varda dans Sans toit ni loi quand Danièle Evenoux, après avoir laissée la jeune fille sur le bord de la route et l’avoir vue s’éloigner dans la campagne, aperçoit un homme qui marche et se demande qui est cet homme qui rôde, ce qui peut se passer, quand sa simple question est le reflet de ce qu’elle sait déjà et de sa propre lâcheté.
Tous les discours sur « l’exclusion » sont des mensonges et de la complicité. Les clochards rôdent la nuit dans la capitale, mangeant les restes de MacDo avariés jetés dans les bennes sur les boulevards. Il mangent les produits périmés. Les femmes se font violer, sont battues, prostituées et les jeunes garçons aussi. Une loi du plus fort règne parmi ces humains que la société accepte de voir réduits à l’état de sous homme. Ce n’est pas de RMI, de réinsersion, de « recherche active d’un emploi » dont ils ont besoin. C’est de la ré-émergence au fond d’eux de l’envie de redevenir des humains, comprendre après l’avoir verbalisé que manger dans les poubelles, s’anesthésier au gros rouge, accepter l’inacceptable, tout cela aura été leur plus beau courage pour continuer à vivre, qu’il devienne temps enfin d’y mettre un terme : ils méritent tellement mieux, eux aussi.
Vous vous réveilleriez dans cette vie un matin, et puis le surlendemain, tout serait terminé, auriez vous encore envie de vivre ? Ne vous mépriseriez vous pas pour cette journée rendue à l’état de semi-poubelle, violé(e), battu(e), humilié(e) ?
Une vraie politique de lutte contre la pauvreté est aussi une politique de reconstruction de la personne. Ca coûte extrêmement cher, ça prend du temps, ça ne peut réussir qu’avec le consentement de l’individu.
C’est plus fort que moi, depuis mon analyse, je ne peux m’empêcher de me voir en chaque « sdf » que je vois, moi aussi, piégé dans un corps, piégé dans une vie qui n’est pas la mienne parce que je ne me rappelle plus comment j’en suis arrivé là, que je ne veux pas y penser et que j’ai oublié pourquoi vivre peut valoir le coup.
Il faut rompre avec la propagandes des puceaux qui aiment le Japon : il y a ici énormément de pauvres, de vrais clochards, seuls, isolés, qui sentent mauvais et que la société ignore quand elle ne les méprise pas. On dirait bien que finalement on attend qu’ils meurent, qu’ils se suicident, inutiles qu’ils sont pour cette société où même les vieux font semblant de travailler pour montrer qu’ils sont toujours dans le coup. La France est un pays catholique; nous plaignons les pauvres et veillons à ce qu’ils meurent loin du regard des caméras.
Comme vous le voyez, je suis dans ma période « lucide », crue. La crise m’y incite, ma situation personnelle, le chômage, réveille de vieilles angoisses, de vieilles craintes.


À partir de mi-novembre, les feuilles d’érables rougissent. C’est l’occasion de belles promenades comme ici à Mogusaen / 百草園.

Mais pour ceux qui m’aiment, je les rassure, je vais bien et n’ai nullement l’intention de mettre fin à mes jours. Dans le pire des cas, je rentrerai en France. Le Japon n’est pas ma prison. Et puis, bien que cette situation soit très difficile, et que le moral en prend un coup, je l’ai choisie. Je n’ai rien raté, aucun échec ne vient ternir l’estime de moi. Tout au plus ai-je progressivement, pendant un bon mois, oublié un peu tout ça en ne voulant pas trop regarder où j’en étais ni où j’allais, aboutissant, oui, à ces symptômes de dépression, sentiment de tourner en rond, de ne plus pouvoir avancer, me terrant (de terreur?) dans mon lit le matin, souffrant à l’idée de me séparer de Jun, passant ma journée à regarder des programmes américains sur l’élection présidentielle (et puis, après le 5 novembre, le vide qui s’installe, la vraie dépression…). Je dois à William Sheller de m’avoir sorti de cet état de torpeur qui fait de la vie une mort aménagée, une salle d’attente (mais où l’on attend quoi…). Non pas au CD lui-même, je l’ai peu écouté (Sheller est un auteur aux mots trop précis pour être écouté tout de go et être aimé, chaque chanson a besoin de son contexte pour qu’un jour…), mais à l’ensemble du colis que j’ai commandé sur Amazon. Les frais de port son proportionnellement inverse aux quantités. J’ai donc acheté quelques livres. Rien de difficile, du léger, les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire de police au Châtelet de 1761 à … (l’auteur n’a pas encore décidé…). Des enquêtes à rebondissement en soi peu intéressantes mais une reconstitution très minutieuse de Paris, de ses odeurs, de son architecture, de la trame historique et de la société de cour. L’auteur, ambassadeur, est d’abord historien et par conséquent son travail est très précis et juste sur le plan historique. C’était exactement ce dont j’avais besoin. J’ai passé des jours entiers à lire, retrouvant au passage un plaisir presque oublié (NOVA me vidait, Lehman ne me laissait pas de temps). Et je ne vous apprendrai rien si je vous dit que le plaisir est le début de tout.
Hier, je suis allé à Hello Work, l’ANPE/ASSEDIC japonais. Je suis indemnisé à partir de la semaine prochaine mais j’ai cru que j’allais éclater de rire quand j’ai vu le montant. Un truc ridicule, en gros le RMI… En fait, ils n’ont pas terminé le calcul du montant car il leur manque des infirmations. Ils m’ont mis au minimum. J’avoue qu’à ses conditions, je n’aurais pas trop le choix… Mais je fais confiance à l’explication qui m’a été donnée. J’ai en outre du subir, avec environ 50 autres personnes, moyenne d’âge 45 ans, pas mal de femmes) la vidéo de 40 mn expliquant le système pour trouver rapidement un emploi. La société japonaise a environ 10 ans d’avance sur la France (plus de luttes sociales depuis les années 70). Le résultat, une majorité de chômeurs ont, comme moi, droit à 3 mois d’allocation. Ils peuvent cumuler avec un « baito », petit boulot, les jours de travail étant déduits du montant indemnisé, prolongeant d’autant la durée d’indemnisation. Ces baitos n’offrent aucune couverture sociale, aucune assurance chômage: ce sont des emplois dits « à l’heure ». On peut y être licencié a tout moment. À l’origine travails (je maintiens qu’on peut mettre un s à travail et non aux dans ce cas car des travaux a sémantiquement un sens différent de des travails /usage perdu à la fin du 17ème siècle, mais qui correspond bien à la réalité contemporaine) d’appoints pour les étudiants ou les retraités (les pensions sont parfois très minces), ils sont aujourd’hui le lot d’un nombre grandissant de chômeurs et femmes décidées à retourner dans la vie active (notamment pour payer les études des enfants, véritablement hors de prix).
Vous imaginez bien que dans mon cas, je n’ai pas le droit à ces petit boulot. Mes possibilités de trouver un travail sont extrêmement réduites dans le marché actuel. Avec une allocation « correcte », j’ai trois mois. Ca mérite d’être tenté. Avec ce que j’ai vu sur ma fiche hier, mon aventure ici revêt quelque chose d’absurde.
En fait, je récolte aujourd’hui le fruit de choix que j’ai opérés. Les mauvais (le chômage) et les bons (Jun). Je ne peux pas dire que je suis victime de quoi que ce soit, j’ai décidé de venir ici. Tout était volontaire, je ne peux rien reprocher à quiconque, pas même à moi. Je dois désormais prendre de nouvelles décisions. Parmi celles-ci : si je ne vois rien venir fin janvier, je devrai envisager de quitter le Japon. Ce n’est pas de gaité de coeur mais je ne vois pas trop quelle autre possibilité s’offrira à moi à ce moment là. C’est juste faire preuve de maturité. J’ai donc deux mois devant moi pour débloquer ma situation, trouver quelque chose. Je ne suis pas si pessimiste, j’ai toujours eu une certaine chance.
Et puis aussi, maintenant que j’ai du temps, je peux travailler un peu pour moi, me promener, écrire. Me préparer au pire dans la tranquillité en préparant le meilleurs aussi. On verra où penche la balance. Je n’ai jamais été meilleurs qu’en suivant mes intuitions…
Allez, je vous abandonne sur ces considérations variées. J’ai écrit sur mon iBook, j’ai totalement oublié comment écrire avec un clavier français. Mais je ne suis pas mécontent de réutiliser accents et cédilles…


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