Fin de saison…

Cette année, il faudra décider, faire, bouger. L’an prochain, je renouvelle mon titre de séjour. C’est une véritable limite. Rester, ou partir?

Dans le métro. Vide. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu aussi peu de monde. Les japonais ont cela d’étonnant que ce conformisme si pesant en temps normal se révèle incroyablement efficace en temps de crise: ils se réfrènent eux-même, quasiment tous au même moment.

On arrive déjà à la fin du mois de janvier. Déjà. C’est véritablement le coeur de l’hiver. Les fleurs sont rares encore à l’exception des camélias « sazanka » où, ici et là, de quelques prunus un peu précoces. Même si je n’aime pas cette période de l’année, avec sa sécheresse de l’air qui me provoque des engelures douloureuses, le grand ciel bleu qui l’accompagne et le soleil lumineux dans l’air flair de janvier ont un petit quelque chose d’agréable assez éloigné du déprimant ciel gris parisien de janvier. Et pourtant, quelque part vers la mi-février, quand l’air sera le plus sec et le ciel le plus bleu, un vent tiède venu du Pacific viendra buter contre l’air glacé de Sibérie, et le ciel se fera plus gris, il y aura de la pluie voire de la neige ainsi que de violentes rafales de vents. Point de giboulées ici, mais une guerre implacable qui se termine à la mi-mars quand fleurissent les premiers cerisiers et que montent enfin les températures sous un ciel plus instable mais de plus en plus lumineux quand il se fait bleu, d’un bleu intense, celui qui annonce le printemps.

On en est encore loin et nous allons entrer dans les jours qui viennent dans cet inter-saison que je déteste par dessus tout. C’est peut-être pour cela que j’ai appris à aimer les floraisons. Le ciel est triste et l’air est froid, le vent souffle parfois très fort mais il y a les fleurs de pruniers dont le parfum annonce la renaissance du monde.
C’est pour cela que cette année j’ai décidé de me synchroniser avec le nouvel an chinois. Il coïncide avec la « racine du printemps », c’est à dire le moment où se termine l’hibernation et où commence le réveil, et cela bien qu’ici, vraiment, février est loin d’être le mois le plus agréable de l’année…

J’ai restauré mon vieux MacBook comme je vous le disais hier, il marche incroyablement bien et le nettoyage est visiblement parvenu à calmer les ventilateurs. J’ai également restauré mon vieux disque dur externe « rikiki », un très beau disque de LaCie que j’avais acheté en même temps que lui. C’est un peu comme si j’avais restauré les deux appareils dans leur état original et effacé les temps qui nous sépare. Un peu comme, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours aimé cet ordinateur qui m’a accompagné partout et cela malgré la véritable haine qui me saisissait quand il ralentissait. Erreur de conception, il est doté d’un écran beaucoup trop sophistiqué pour la mémoire dédiée de la carte vidéo. Ça a été corrigé dans les modèles suivants, moi, j’ai comme beaucoup d’autres utilisateurs essuyé les plâtres et me retrouve avec un ordinateur rapide, puissant, mais incroyablement lent quand il s’agit de retoucher des photos ou faire de l’édition vidéo.
Et pourtant je l’aime beaucoup. Il est beau et même aujourd’hui c’est un peu comme s’il n’avait pas pris une ride. Il m’est difficile d’écrire la même chose de l’iMac pour lequel je continue de me demander ce qui m’a passé par la tête de l’acheter.

On est vendredi déjà, et je n’ai que trois leçons, demain, ce sera tout aussi mort. Mon emploi du temps est une sorte d’entre-deux, c’est mieux que l’an dernier mais cela reste en deçà d’environ 30%, avec le salaire qui va avec. Me voilà super précaire, sans salaire durant les vacances. Tu parles de vacances… Moi qui avait tous les « avantages » d’un contrat fixe il y a un an malgré un petit salaire, je n’ai plus aujourd’hui qu’un tout petit salaire. Je ne suis pas inquiet, je m’y suis fait – on se fait à tout -, mais cela avive la question du « retour ».
Cette année, il faudra décider, faire, bouger. L’an prochain, je renouvelle mon titre de séjour. C’est une véritable limite. Rester, ou partir?

Il y a une chose qui me travaille, me torture même, pour tout dire, et que je résumerai à quelques noms. Théotime Langlois de Sarte, Jean Rondeau, Léa Dessandre… La musique, les concerts me manquent, le contact intime avec la musique vivante. Ici, c’est incroyablement cher et le public n’a rien à voir avec le public en France. La musique baroque me manque alors que fleurit une jeune génération de musiciens pour qui est une évidence alors que j’appartiens à la génération pour qui elle était encore à la fois une ébauche et un combat.
Quand Atys a été mis sur scène pour la première fois en 300 ans, en 1987, nous savions tous, nous, les amoureux de musiques anciennes, que nous assistions à un moment majeur, à une étape importante.
Ce n’étaient pas les costumes « d’époque » qui restituaient l’oeuvre, c’était cette immense « machine » faite de choristes, de chanteurs à la diction de français ancien restituée, c’était toute cette abondance d’instruments aux sonorités que leurs contradicteurs jusqu’alors qualifiaient de « grinçante » et révélaient à ce moment précis toute leur justesse, toute leur évidence pour jouer précisément cette musique oubliée, et le fait qu’il s’agissait de musique oubliée ajoutait à cette évidence. Oui, la musique ancienne méritait les instruments et les techniques de son temps, et elle méritait qu’on la sorte des cartons des bibliothèques nationales dans lesquelles elles prenaient la poussière et agonisaient dans l’oubli.
Beaucoup de temps a passé, et de nos jours tout le monde a compris l’évidence et au contraire nous sommes maintenant un public plus large à attendre des musiciens plus de « nouveautés » encore, et par nouveauté il s’agit bel et bien de l’exhumation de telle ou telle oeuvre, de tel ou tel compositeur, et il y en a des milliers, des dizaines de milliers. Mieux encore, la démarche s’est étendue à des musiques plus anciennes encore. Il est de musiciens qui tentent même la reconstitution d’oeuvre antiques et vont jusqu’en Mésopotamie.
Et moi je suis ici, à Tôkyô…

Durant le confinement, Les Arts Florissants ont produit un certains nombre de vidéos dans l’ouest. Brumes, arbres dépouillés de l’hiver sous la lumière douce d’un soleil encore voilé, vieille bâtisse, réverbération d’une église, sonorité du clavecin et plainte éplorée du violon de Théotime…

Je fais quoi, ici? Pourquoi suis-je venu? Qu’ai-je appris du monde et de la vie que je devais apprendre pour penser intimement que je ne suis pas d’ici mais bel et bien de ce qui tragiquement est devenu mon là-bas? Qu’ai-je fait et que vais-je faire pour me trouver ma place, toute ma place?
Les questions se bousculent et toutes me ramènent sous ce ciel étoilé de la Sarthe alors que je rentrais, à pied, de nuit dans la nuit noire. Une quinzaine de kilomètres dans lesquelles j’ai senti comme un message, comme un appel venu de la terre. Se poser une question, c’est déjà avoir la réponse, n’est-ce pas…
Mais c’est étonnant que ce fil qui me rattache soit la musique. Ou peut-être cela ne l’est pas tant que ça quand je sais tout ce que je lui dois au temps de ma dépression, ou quand je pense à la place qu’elle a occupé dans ma vie depuis l’enfance…

J’aime partager mes doutes…


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