Mardi, un jour de semaine…

Ginza, cet après-midi vers 17 h 45, devant Nissan. Un parti politique d’extrème droite « relooké ». Le Parti de la restauration, vent nouveau, shin fû/新風. L’extrème droite est active au Japon. Elle a fièrement pigon sur rue, a sa presse en vente libre.
La gauche, elle, a peur. Elle n’est pas protégée par l’État qui la considère comme illégitime, traitre et complice d’une constitution souvent baptisée de « constitution d’occupation ». Les Japonais, ignorant de l’histoire, commencent à intégrer cette idée d’une constitution « imposée ».

Il fait chaud, il fait humide. C’est fatiguant, vivement la mi-juillet qu’il fasse bien chaud et plus sec. Climat étrange à l’école. Certains pensent que quelque chose couve, se prépare : c’est normal, on ne nous dit rien. Je pense qu’en fait ça navigue à vue. On parle d’un rachat, ou d’une alliance, on ne sait pas trop. Personne, nul part, ne parle des professeurs, de ce qu’ils deviendront. En revanche, « on » plaint les pauvres élèves qui ont payé des années de cours… Mais en même temps, personne n’envisage vraiment une faillite, une fermeture. Plutôt une réorganisation. Que penser… Il est clair en tout cas que ce silence insite tout le monde à chercher du travail ailleurs, ou, pour le moins, à l’envisager. Quelque chose arrivera dans l’année qui vient.
Il y a deux semaine, dans un de mes cours, une des deux étudiantes a fait dévier le cours vers de la propagande. Une horreur. Je donnais un peu de vocabulaire pour parler de « manifestation » culturelles, sportives et musicales : l’association, le programme, le but, la publicité, … S’ensuivent quelques minutes où l’on évoque des exemples : Canne, Avignon… Et je leur propose enfin, suivant le plan de cours NOVA, d’imaginer une manifestation et de réfléchir à ce qu’il faut faire. J’aime cette leçon car cela donne parfois des idées amusantes comme le « festival NOVA Ginza », avec des professeurs qui sont dans la rue à vendre des crèpes, qui chantent, et des étudiants qui font un défilé. Ca ne s’invente pas ! Les élèves les plus avancés dans ce niveau peuvent parler à leur aise, le vocabulaire est assez simple pour les moins avancés bref, je n’ai jamais rencontré d’os sur cette leçon que je maîtrise bien à ma façon. Au passage, si certains critiquent ici et là ce que fais NOVA, j’avoue pour ma part trouver une certaine souplesse dans le cadre fixé. Bon, en tout cas, mes étudiantes s’apprétaient à savourer plus de 15 minutes de discussion libre sur le sujet du festival.
L’une d’elle commence : organiser une festival du livre pour enfant. Cela ne m’étonne pas de l’étudiante et déjà je savoure ce qui va suivre : les invités, la récompense voire le Prix, les sponsors, la programmation et les animations… À cette simple suggestion, je m’apprête à écouter un truc original et intelligent qui leur soit abordable (linguistiquement) et profitable.
Si je suis si long à raconter, c’est pour mieux vous faire ressentir la violence de ma chute ! L’autre étudiante, une vioque qui n’écoute pas, suggère tout autre chose, en fait, elle va s’imposer. Dans le métro j’avais vu ces affiches, une enquète : les enfants japonais se couchent à pas d’heure et résultat, ne prennent pas de petit déjeuner. La vioque propose de faire quelque chose car le maire de Tôkyô a dit que c’était un grave problème. Silence gêné de la première élève. J’essaie d’alléger, je dis qu’en effet c’est un vrai problème mais que pour la leçon, l’idée de l’autre élève est une meilleurs idée qui permettra d’utiliser le vocabulaire. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une idée de vieille va devenir une idée de vieille conne. Elle en remet une couche, se bute et quand l’autre élève dit que c’est bien, quand même, un festival du livre pour enfant, la vieille peau se bute encore et remet ça, argant qu’il faut faire quelque chose. Je me dis, chiche ! Je lui propose de donner des idées. Et là, c’est le néant. Elle a gagné sa manche, en fait, elle a rien à dire. Elle est vide, cette vieille, elle n’a jamais rien à dire, là, elle atteint le sommet de ses capacités. Par sa réaction butée, l’appel au maire et le rappel des problèmes du Japon, elle incarne à elle seule la raison du sous développement culturel de ce pays : avec des vieux comme elle, comment faire pour donner à ce pays la place culturelle qui lui revient ? Alors, timidement, alors que j’ai décidé de ne plus intervenir dans cette conversation, l’autre élève suggère timidement d’organiser un festival du petit déjeuner. Je suis malheureux comme tout pour cette élève qui mérite mieux. Pour les Japonais qui méritent tellement mieux que cette sous culture que la télévision vômit de toutes ses chaines, avec toujours les mêmes, cette comme démultiplication de toutes les Danièles Gilberts possibles que ce pays a pu générer, gardiennes de tous les conservatismes et garantes d’une fermeture quasi hermétique à tous les vents du Monde. A la télévision, jamais un seul chanteur non Japonais.
Nous partions avec des livres pour enfants, remplis de couleurs, de rêves et d’espoirs. Nous voilà avec des petits déjeuners parce que papa est exploité au travail et que maman est dépressive, incapable de gérer sa progéniture, sa relégation au foyer et la dégringolade fantastique de ses rêves de jeune fille jolie, cultivée et batifollante. La vioque ne va rien proposer, l’autre élève va ramer, ramer. Quand la fin du cours arrive, je reprends mes affaires et je dis à la vioque que l’idée de l’autre élève était plus simple à traiter. Et à partir de là, c’est moi qui en remet une couche. En France, ce problème n’existe pas car les enfants sont couchés avant 10 heures parce que le père est à la maison avant 7 heures. La vieille me regarde et me dit « ah bon ? ». Oui, en France, on travaille 35 heures par semaine, alors on a deux fois plus d’enfants qu’au Japon et on a le temps de s’en occuper. Si un enfant ne veut pas se coucher, on le puni. La vieille est vânée. Pour le petit déjeuner, c’est pas une enquète ou un festival, qu’il faut, c’est des parents qui s’occupent de leurs enfants le soir et le matin, qui ont du temps et beaucoup de vacances, comme en Europe. La vieille est sur le cul, ça se voit. L’autre étudiante est un peu gênée, je crois qu’elle perçoit mon exaspération.
Cet après midi, j’ai retrouvé l’autre étudiante. Elle s’est excusée. J’étais gêné car je ne voyais pas de responsabilité chez elle, au contraire, j’étais moi-même confus de n’avoir pu contrôler cette vieille. Elle m’explique qu’elle aurait du être plus ferme vis à vis de l’autre étudiante. Et qu’elle a compris qu’il fallait être plus ferme aussi dans la vie. Elle me l’a dit deux fois, pour me faire comprendre que ça dépassait le cours.
Depuis un an que je suis au Japon, je crois que c’est la première fois que j’ai eu envie de pleurer de bonheur dans un cours Je ne sais pas si je suis un bon professeur de français. Je fais de mon mieux, en tout cas, pour donner un petit peu, chaque fois, de ce qui fait le plus beau de la France : la soif de Liberté.
J’ai quitté l’école le coeur plus léger que quand j’y suis rentré à 13 Heures. Je me dis que j’ai vraiment ma place dans ce pays. Je suis rentré, j’ai payé ma montagne de factures (carte de crédit, électricité, sécurité sociale, etc…). J’ai mangé du pain et du beurre (c’est pas bien).
Demain c’est week end…


Commentaires

7 réponses à “Mardi, un jour de semaine…”

  1. Avatar de Nicolas
    Nicolas

    Et ben ça partait mal et ça aurait pu se finir en gros moment de solitude pour toi… mais finalement… chapeau ! J’aime beaucoup le glissement assez rapide de la « vieille » à la « vieille conne » 🙂

  2. Avatar de Anonymous
    Anonymous

    Superbe Suppaiku, ça donne envie d’être prof, et ça me rassure sur mon bonheur d’être Français. Y’a mieux, mais surtout pire !

    Continue ^_^

    Sly.

  3. Avatar de Anonymous
    Anonymous

    Superbe Suppaiku, ça donne envie d’être prof, et ça me rassure sur mon bonheur d’être Français. Y’a mieux, mais surtout pire !

    Continue ^_^

    Sly.

  4. Moi aussi j’ai pleuré en te lisant ! C’est beau comme un épisode de GTO ! (ToT)/

  5. Moi aussi j’ai pleuré en te lisant ! C’est beau comme un épisode de GTO ! (ToT)/

  6. Avatar de Anonymous
    Anonymous

    Post tres touchant…
    J’ai remarque que les jeunes qui ont des bonnes idees (en entreprise japonaise) s’autocensurent tres regulierement et ne cherchent pas a convaincre ou a defendre leur position. Pourquoi? Le rejet du conflit? le respect des personnes agees? L’education qui les rend timides et introvertis?
    Les vieux schnoks qui ont « toute puissance » du a leur age et leur anciennete se trompent tres regulierement et ne sont jamais conseilles ou remis en cause.
    Je dois les choquer, moi, jeune, francais, mieux diplome qu’eux et donc vu forcement comme « arrogant » (un Francais en fait) qui donne des coups de pieds dans la termitiere pour eviter que l’entreprise ne sombre definitivement dans la crise qu’elle traverse et qui la mene a sa fin… Et qui tente de leur faire comprendre qu’il faut apprendre a ecouter les plus petits.
    Il m’a ete propose de « casser » les Japonais (en prive) de facon a ce qu’ils ecoutent et qu’ils descendent de leur pied d’estale: il n’a que commme ca qu’ils semblent commencer a ecouter.
    Je l’ai fait dans de rares mais necessaires occasions. Apres ca, ils sont gentils et on peut enfin commencer a communiquer a pied d’egalite. Et c’est un vrai plaisir de travailler avec eux! 🙂
    Mais je ne le conseille pas… car je ne sais pas si c’est vraiment « positif » pour un Japonais et s’ils s’en remettent…. A suivre

  7. Avatar de Anonymous
    Anonymous

    Post tres touchant…
    J’ai remarque que les jeunes qui ont des bonnes idees (en entreprise japonaise) s’autocensurent tres regulierement et ne cherchent pas a convaincre ou a defendre leur position. Pourquoi? Le rejet du conflit? le respect des personnes agees? L’education qui les rend timides et introvertis?
    Les vieux schnoks qui ont « toute puissance » du a leur age et leur anciennete se trompent tres regulierement et ne sont jamais conseilles ou remis en cause.
    Je dois les choquer, moi, jeune, francais, mieux diplome qu’eux et donc vu forcement comme « arrogant » (un Francais en fait) qui donne des coups de pieds dans la termitiere pour eviter que l’entreprise ne sombre definitivement dans la crise qu’elle traverse et qui la mene a sa fin… Et qui tente de leur faire comprendre qu’il faut apprendre a ecouter les plus petits.
    Il m’a ete propose de « casser » les Japonais (en prive) de facon a ce qu’ils ecoutent et qu’ils descendent de leur pied d’estale: il n’a que commme ca qu’ils semblent commencer a ecouter.
    Je l’ai fait dans de rares mais necessaires occasions. Apres ca, ils sont gentils et on peut enfin commencer a communiquer a pied d’egalite. Et c’est un vrai plaisir de travailler avec eux! 🙂
    Mais je ne le conseille pas… car je ne sais pas si c’est vraiment « positif » pour un Japonais et s’ils s’en remettent…. A suivre

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