Nous, nosotros, us, نحن, 私達

Paru dans la revue Minorités.org Mardi 21 juin 2016, le numéro spécial après l’attentat d’Orlando, mis en place par Maggy Pierrot.
Quand en France après près de deux ans d’une mascarade absurde la loi sur l’égalité devant le mariage des homosexuels et des hétérosexuels a été votée, contrairement aux USA, il n’y a eu aucune fête, aucune grande cérémonie, juste les tweets d’autosatisfaction d’une ministre qui s’était faite briller sur le sujet, sorte d’ersatz de Badinter, afin, peut-être, de nous faire oublier tant de renoncements, droits des trans ou droit de vote des étrangers. Tant d’énergie gaspillée pour une loi qui non seulement figurait dans les propositions du candidat Hollande, et qui en plus bénéficiait dans toutes les enquêtes d’opinion d’un soutien de plus de 60%.

Non, il a fallu que ce gouvernement utilise cette revendication comme un marqueur de sa différence en en faisant une bataille, offrant de fait aux opposants les plus extrêmes une tribune sans précédent, une gigantesque fosse sceptique de la pensée leur permettant d’y aller de leurs comparaisons avec la pédophilie et la bestialité, de ressortir leur rhétorique réactionnaire du déclin de la civilisation et de l’abomination ou du crime contre nature.

On en a même vus parmi les plus réactionnaires, comme Thierry Mariani, plaider pour une union civile après s’y être opposé pendant des années.

Pour l’aile la plus réactionnaire « républicaine », tout a été bon pour semer le doute, brouiller les cartes et, finalement, jouer le jeu d’un gouvernement décidé à utiliser les homosexuel-le-s comme un marqueur.

Alors que la loi aurait pu être votée dans la foulée de l’élection présidentielle, tout comme aurait pu être facilement votée la loi sur les trans, débattue la PMA et, dans le même élan, le droit de vote des étrangers, la fin du cumul des mandats, le certificat de demande d’identité, une inflexion dans la politique de l’immigration et même le changement de mode de scrutin, le gouvernement a finalement délibérément joué la carte du « mariage pour tous » pour marquer sa différence, utilisant les homosexuel-le-s comme des pions sur l’échiquier de sa politique.

Le choix même du nom du projet de loi, le « mariage pour tous », résume s’il en était besoin cette incurie, ce cynisme et cet attachement farouche à un universalisme qui s’acharne à atomiser les individus, appelés « citoyens », placés sous la tutelle protectrice d’un état « égal pour tous ».

Dans cette « république », nous sommes tous des individus abstraits et supposés égaux, loin du « communautarisme anglo-saxon » tant décrié de l’extrême droite au PCF.

Or, s’il y a bien un enseignement dans la tuerie d’Orlando, c’est que nous ne sommes pas égaux. J’écris NOUS, oui, nous, cette communauté qui n’en est pas une et qui pourtant existe malgré elle, la communauté des homosexuel-le-s, à laquelle je rajouterai la communauté des personnes trans. J’avoue, je n’ai pas le fétichisme des « LGBTI » machin chose, mais s’il y a bien des moments où on s’aperçoit que tout cela fait sens, et que nous sommes bien une collectivité, un groupe, une communauté, c’est bien quand survient une tuerie comme celle-là. Comme il y a 25 ans le VIH nous unissait quand la société hétérosexuelle, elle, étalait son indifférence et son ignorance.

NOUS sommes unis, autour du monde, toutes et tous autant que nous soyons, par la haine que nous suscitons, une haine savamment entretenue par des gouvernements, des hommes politiques, des religieux, des écrivains, des philosophes, des faiseurs d’opinion. Une haine qui nous condamne à mort ou nous envoie en prison jusque dans des états supposés laïcs.

Pire encore, en France, en délégant nos luttes à des structures inféodées au Parti Socialiste, nous nous sommes livrés à de soi-disants alliés qui ont révélé dans leurs hommages tièdes aux victimes du crime d’Orlando, cette même invisibilité qui leur suggéra ce « mariage pour tous », et leur superbe absence auprès de nous lors de nos rassemblements, leur mépris, leur indifférence, leur ignorance, leur cynisme, leur impossible empathie, comme au temps du sida, quand les mêmes, finalement, étaient incapables de nommer un homosexuel un homosexuel et de voir dans cet homosexuel un semblable.

L’absence de personnalités politiques d’envergure à l’exception notable de Jean-Luc Mélanchon qui, au passage, a trouvé les mots justes, l’absence d’hommages appuyés comme on les a vus par exemple au Royaume-Uni où le maire « musulman » tant redouté par nos éditorialistes « républicains », a affiché une solidarité exemplaire, révélant la tragique réalité de ce qui se cache derrière le Pinkwashing à la française, cette politique « gay friendly » définie par les hétérosexuels, dans leurs propres intérêts et pour leur propre agenda.

Ils n’en ont rien à foutre, qu’on crève. Afficher trop clairement leur solidarité, ça pourrait leur coûter des voix, et puis il faut calmer les manifestants de la Manif pour tous, comme le disait la très célèbre Laurence Rossignol qui affiche ainsi clairement la couleur de ses interlocuteurs préférés sur ces questions.

S’ils en avaient quelque chose à foutre, de nous, nos Hollande, nos Valls, nos Hidalgo, ils l’auraient passée, la loi sur le changement d’identité, mais ils préfèrent laisser les trans dans la fragilité d’un parcours du combattant qui les expose à la vie fragile de la prostitution.

En parlant de prostitution, s’ils en avaient vraiment quelque chose à faire, des jeunes de quinze ans chassés de chez eux par leurs parents quand ils apprennent qu’ils sont homosexuels, réduits au tapin pour survivre, ils n’auraient jamais voté cette loi immonde, sociale, physique et médicale, accrue.

En parlant de santé, s’ils en avaient vraiment quelque chose à foutre, de nous, ils auraient dés 2012 complètement remis à plat la politique de prévention et d’accès aux soins concernant les IST et le VIH comme les réclament les acteurs de terrain, tout en revenant sur le forfait médical mis en place par les gouvernement Raffarin-Fillon.

S’ils en avaient vraiment quelque chose à foutre, de nous, ils n’auraient surtout pas ce discours de stigmatisation des jeunes des quartiers populaires.

Car oui, monsieur Francois Hollande, oui, monsieur Manuel Valls, il y a des homosexuels, et même des homosexuels musulmans pratiquants, il y a des lesbiennes, et même des lesbiennes voilées, dans les quartiers populaires au delà du périphérique.

Et croyez-moi, malgré votre soi-disant « sympathie », leur homosexualité ne les protège pas de vos discours stigmatisants et du fiel islamophobe des éditocrates de Valeurs Actuelles ou de Marianne, des portes qu’on défonce à deux heures du matin dans le cadre de l’état d’urgence, de vos contrôles au faciès, de vos interdictions de manifester quand Gaza est détruite sous un tapis de bombes, de vos bavures policières.

Si j’insiste sur ces quartiers populaires, sur ces homosexuels de l’au delà du périphérique, l’angle mort d’un militantisme LGBTI en fin de course, et qui sont mes semblables puisque j’ai grandi à Bondy, que mon père était algérien, et que je suis musulman (je remercie tous les obsessionnels de l’islam au gouvernement, dans l’opposition ou au FN et à Marianne de me le rappeler du matin au soir, sans eux, j’avoue, j’aurais tendance à ne pas y penser), c’est parce que justement, au Pulse, c’étaient des comme moi, des comme nous. Des noirs, des latinos.

Ce NOUS des minorités à l’intérieur du grand NOUS de la minorité que nous formons, nous, les homosexuel-le-s du monde entier.

Nous, les LGBTI de couleur, nous, les trans assassinées dans un silence et une indifférence coupable et qui, en France, attendent enfin une loi simple et qui ne coûterait même pas un centime. Nous, les homosexuels issus de l’immigration coloniale, ignorés superbement par une communauté homosexuelle réduite à une clientèle électorale par un Parti Socialiste 30 ans après avoir siphonné avec SOS Racisme un jeune et prometteur milieu associatif des quartiers qui aurait pu être un espace d’affirmation (empowerment) fondamental, exactement comme cela se passe aux USA. Ce « communautarisme anglo-saxon » que vous méprisez tant.

Our brothers and sisters.

Nous sommes l’angle mort de toutes les luttes, nous n’avons pas une place facile. Moi, j’ai la chance d’avoir grandi à l’époque où le discours sur le multiculturalisme, sur la démocratie, sur les communautés, sur les luttes minoritaires, sur les femmes n’était pas déformé par le rouleau compresseur réactionnaire républicain qui de tout temps, en France, a toujours été un discours conservateur. Ce discours qui domine aujourd’hui et exerce une censure implacable contre ceux qui osent être « démocrates » et non républicains.

J’ai pu bâtir mon autonomie, une homosexualité enracinée dans mon histoire et qui ne fait pas de moi une sorte de nouveau riche qui aurait oublié d’où il venait.

C’est plus difficile aujourd’hui car le discours politique s’est refermé comme un piège, et ce piège, cette pression, je le sais, elle est beaucoup plus forte pour mes semblables des quartiers, où une bigoterie qui tient lieu d’identité de résistance tend à accompagner cette véritable mise au ban dans le discours et les politiques de l’état.

De mon temps, pour tout dire, être ouvertement homosexuel demandait un certain courage, mais ce n’était pas insurmontable. La société était elle-même homophobe et l’homosexuel n’était pas regardé comme un intru venu de l’extérieur.

De nos jours, c’est beaucoup plus complexe, et la relégation des jeunes des quartiers au rang de suspects dans le discours dominant n’y aide pas les homosexuel-le-s.

En ce sens, Houria Bouteldja a parfaitement raison (et je vous résume ici son point de vue sans l’éternelle déformation servie par des chroniques malhonnêtes): une renaissance des luttes politiques antiracistes par les intéressés eux-mêmes et sur leur propre agenda (principe de l’autonomie des luttes théorisée en son temps par… Michel Rocard), en diminuant la pression et la tension, peut être à même d’ouvrir ces espaces d’autonomie et d’affirmation des homosexuel-le-s des quartiers, au passage sans forcément se plier au modèle consumériste dominant dans la culture homosexuelle intra-urbaine où être « arabe » n’est respectable que quand on est jeune et quand il s’agit de rouler des mécaniques en survêtement sur de la musique orientale dans un célèbre tea-dance parisien.

Il y a bien une complexité des mécanismes de l’oppression, notamment celle qui s’exerce sur les femmes ou les homosexuel-le-s et qui les conduit bien souvent à sacrifier leur individualité pour ne pas se retrouver mis au ban d’un groupe, la famille, le quartier, les amis. Le coming-out, enfin, n’est peut être pas forcément la pratique adaptée de l’autonomie, la liberté individuelle étant avant tout une négociation délicate.

Si je pense qu’une résurgence de l’antiracisme politique est fondamentale, je ne crois pas qu’elle soit suffisante. Il nous faut également une résurgence du militantisme homosexuel à l’intersection de l’antiracisme. Dans les quartiers.

Je reste persuadé que c’est dans ces quartiers que peuvent émerger des pratiques et des revendications nouvelles. L’élection d’Obama avait révélé aux USA l’émergence de ce champ politique nouveau où les minorités, et en leur sein les minorités racisées, tenaient toute leur place, avec son agenda et son propre discours. La campagne des primaires démocrates révèle que ce mouvement de fond continue et qu’il s’amplifie.

L’an dernier, lors de la Marche de la Dignité, certainement la plus importante manifestation anti-raciste depuis 1983 puisqu’elle était du début à la fin prise en charge par les intéressé-e-s eux-mêmes, il y avait des lesbiennes de couleur.

Ce n’était certainement que l’ébauche de quelque chose de nouveau, mais voilà qui bouscule un militantisme homosexuel embourgeoisé, subventionné et qui ronronne de se voir si beau en son miroir depuis l’adoption de son « mariage pour tous », cette loi qui s’est imposée comme une sorte de solde de tout compte avant sabordage et qui nous laissera cul nu si Marine Le Pen venait à être élue à la présidence de la république.

Nous ne renverseront pas l’homophobie qui irrigue la société sans travailler la société, sans y être acteurs, sans créer des ponts, sans un exercice pratique du pouvoir, pas seulement sur les questions de droits, mais également sur la question plus vaste des discriminations, à commencer en notre sein. Pour sortir de l’éternelle rengaine de l’homophobie des quartiers, cette soupe indigeste servie par des penseurs et des politiciens qui, pour le coup, sont réellement homophobes.

Orlando nous rappelle que nous sommes un groupe vulnérable, et que bien souvent les plus vulnérables sont ceux qui parmi nous sont également victimes du racisme.

Nous devrons désormais nous souvenir d’Orlando comme d’un moment charnière, un tournant dans notre façon de nous penser. Je n’ai aucune réponse et, pour tout dire, j’espère que de la renaissance de l’antiracisme politique et du surgissement surprenant des Nuit Debout surgira une génération de jeunes homosexuels des quartiers qui trouvera et le langage, et les formes qui bousculeront l’establishment vieillissant et empâté LGBTI, procurant l’énergie nécessaire pour fournir un nouvel agenda sorti de son époque et non pas du formol et des matraques. Un agenda incluant qui, allié à un réel antiracisme politique, limitera notre vulnérabilité en renforçant les solidarités dans la société dans un monde qui s’annonce de plus en plus dangereux, tout en nous rendant notre autonomie perdue vis-à-vis du pouvoir politique.

Orlando, comme la nouvelle frontière d’un agenda qui reste à formuler.


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