Parce que je refuse de vivre avec l’idée que je n’aurais rien fait pour empêcher l’extermination des juifs.

Le métro, vers 15 heures trente.

Pas beaucoup écrit, hein… J’ai rassemblé les quelques notes que j’ai couchées, sous le titre de Petits papiers de jours de triste. Petit passage à vide. D’avoir écrit, comme ça, tellement, d’un coup, ça m’a comme vidé. Et puis il y a le visa, et c’est le genre de truc qui ravive des douleurs anciennes, comme quand mon père avait perdu ses papiers. Il a eu la hantise d’être renvoyé en Algérie pendant deux ans. Et puis j’ai tout de même écrit, pour Minorités, un article au sujet du vote d’une loi contre les homosexuels en Ouganda, prévoyant des peines allant jusqu’à la peine de mort. Cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé, écrire un texte politique. J’ai été moi-même étonné par sa qualité, sa concision. Très loin du ton bavard que j’adopte volontiers dans ce blog. Comme quoi, écrire un journal est une des clés dans la maîtrise de l’écriture et l’expression de sa pensée. A ce sujet, j’ai reçu deux mails de Bernard Bacos. Je vous recommande son site, le site certainement le plus documenté en France sur le paris 1965-1982, à la grande époque du rock et de la pop. J’y retrouve des trucs dont j’avais entendu parler à l’époque où j’ai commencé à « sortir », vers 1981, à 16 ans…Mon premier concert ? Sapho, en 1980 à la Fête de l’Humanité. J’avais pas 15 ans. Mon père m’avais autorisé à rentrer tout seul. Pour lui, la Fête de l’Humanité, c’était un truc important. Il y a écouté Gréco, Moustaki, ferré, Ferrat. Le PCF apportait le culture à des masses entières de prolétaires dont la situation sociale privait. Moi, ça me vanne, mon père, des fois. Considéré comme illettré, alors qu’il parlait, lisait et écrivait l’arabe couramment – bien que ce ne fut pas sa langue puisqu’il était Kabyle-, mon père avait appris le français tout seul. Et si son écriture, en français, était malhabile, et si sa compréhension des articles du Monde était parfois limitée, je peux affirmer aujourd’hui que je suis extrêmement fier de lui. Lire et écrire le français, tout seul. Écouter des artistes pareils à la Fête de l’Humanité. Et pourtant, il faisait ses 5 prières par jour, il jeûnait et quand il s’est fait vieux, il a tenté de transmettre l’Islam dans une cité, à Bondy où nous habitions. L’Islam de notre famille, pas celui des barbus. Pas du tout sympathisant des homos, il m’avait confié un jour qu’à l’Hôpital Saint-Louis où il était entré pour sa leucémie, où il avait frôlé la mort, ne pesant plus que le poids de ses os et se débattant dans une fièvre incroyable, il avait partagé sa chambre avec un homosexuel atteint du Sida. Il avait eu des mots touchants, très simples, mais vraiment compatissants. « Cette maladie est pire que la mienne, et il soufrait plus que moi ». Il avait des larmes dans les yeux. Qui sait si mon père n’a pas prié pour le repos de son voisin de chambrée de l’Hôpital Saint-Louis ?
Bref, revenons à nos moutons. Bernard m’a partagé ses sentiments à la lecture de ces récits. Il s’est reconnu dans la génération dépeinte, bien qu’il soit plutôt de droite et donc n’a pas suivi les dérives de certains… Je trouve ça intéressant, en fait, qu’il ait vécu cette libération, et ces concerts, et ce chamboulement total de la culture, la fin de la droite cul-cul. Cela prouve qu’avant d’être un événement politique, 68 est d’abord une rupture sociétale portée par la génération du baby-boom comme l’avait presque prédit Edgar Morin en 1961. Il m’a aussi livré ses sentiments à l’égard des grèves étudiantes. Et puis un commentaire sur le rock au début des années 80. Je vous invite très chaudement à visiter son site : il y a tout, il y a « tout le monde » (ah, cette expression du Paris branché au début des 80’s…). Il est plutôt âgé. Il est plutôt de droite. Mais ce n’est pas un vieux con de droite. Respect ! Et puis c’est un presque ancien collègue, he he he… et en plus, il a lu mes récits, et en plus il m’a écrit de longs mails. J’ai été très touché.
Ce soir, le ciel sur Tôkyô est magnifique, bleu, avec des nuages de toutes les couleurs et les murs des immeubles virant à l’orange. C’est l’hiver qui arrive.
Mon patron m’a aidé à remplir les papiers pour mon visa. La boule au ventre a disparu. Je suis en vacances la semaine prochaine, je déposerai mon dossier. Et hop ! Ça repartira pour trois ans !
Vers 21 heures 50. Je suis dans le train de nouveau. C’est incroyable comme militer sur le net peut occuper. Je parcours de pages, des idées me passent par la tête. C’est bien. On gagnera, ça ne fait pour moi aucun doute. Le groupe sur Facebook a été créé hier soir vers minuit heure de Tôkyô. J’ai eu l’insigne honneur d’inviter Didier Lestrade à y entrer. J’écris ça, mais c’est vrai. J’ai un profond respect pour les militants, et Didier en est un. Importer Act Up, créer Act Up en France, se taper les manifs de merde à 20 pelés 3 tondus parce qu’en 89 les pédés n’avaient pas encore compris qu’on pouvait faire une manifestation contre le Sida –ça l’a fait bien rire, Finkelkraut, tiens. Oui, il fallait du courage, et il l’a eu. Alors oui, vraiment, ça me fait tout chose. Moi, je ne suis passé que deux fois à la télé pour Montesquieu, chez Gildas. Le documentaire de Canal plus a censuré Spont’Ex (les deux cameramans avaient pourtant apporté les croissants, nous avaient suivi une journée et la prod a vendu les images qu’on leur avait suggéré de prendre. C’était marrant, d’ailleurs, ces deux cameraman qui cherchaient des policiers casseurs à la manifestation place de la Nation… Mais bon, on avait été censuré. On leur avait fait la totale, le journal TV dans l’amphi N, pas un vrai, non, notre pièce de théatre, avec Aurélie qui jouait Pasqua. Non, passé à la poubelle… Mais je connais les vrais journalistes, il doit y avoir une béta quelque part. J’avais encore des cheveux, et j’étais blond. Je me rappelle avoir croisé Timothée, tiens, vers Montpartnasse, dans une des manifestations. Je ne sais pas si c’étais le bonheur, mais à cette époque, je courais tout le temps, oh, comme j’aimais courir, oh, comme j’aime la politique… Il y avait eu aussi l’enquète, « Étudiants, combien de divisions », et puis le bouquin n’était pas sorti. Celui sur Act Up, oui. C’est dommage, il y avait Spont’Ex… Mais « inviter » Didier Lestrade, ça me fait tout chose, si si ! Ah, tiens, si j’osais, j’inviterais Beauvoir, ou Sartre. Mince, ils sont morts.
Tiens, un désaccord avec Didier Lestrade dans son blog. Il rêve d’un Brian Kenny qui conduirait le militantisme gay, un gars qui tiendrait de l’acteur de X, qui serait une idole. Quelle erreur… Il nous faut des intellos rayonnant. Des types qui donnent envie aux Brian Kenny de service de se frotter à la culture. La différence serait visible. Brian Kenny leader ? 200 folles derrière. Des intellos rayonnants ? 200 Brian Kenny derrières et toutes les folles qui veulent se taper un des Brian Kenny. En termes militants, c’est d’un meilleur rapport… La vrai nouveaute, ce serait plutot… (voir photo… )
Je divague…
Cette loi Ougandaise m’a mise hors de moi. J’ai communiqué cette répulsion à 10 personnes et après avoir écrit l’article dans Minorités, c’est allé très vite. Le Le groupe sur Facebook dépassera bien 1000 personnes ce soir. J’ai posté un peu partout où je pouvais, et je sais que désormais d’autres postent, et cliquent, et que comme moi le mois dernier, ils commencent à réaliser ce que l’Ouganda et le Rwanda s’apprêtent à faire. Parce que c’est trop fou, on ne peut pas réaliser : tuer les homosexuels et les sidéens. C’est pas possible, non ? Madjid délire… Eh bien non, c’est vrai. Au fur et à mesure qu’on lit des dépêches à ce sujet, on s’aperçoit que c’est du vrai. C’est pas de ma faute, mais je refuse de vivre avec l’idée que je n’aurais rien fait pour empêcher l’extermination des juifs. C’est ce ressort qui me pousse, et qui m’a fait rager et écrire l’article dans Minorité. Je me suis même posé la question du comment tuer des homosexuels. Le gaz ? Le four crématoire ? Le micro-onde ? une piqure ? L’horreur est bel et bien là, mais ce sont des Africains, alors on ne pense qu’à la dinde de Noël ou au fraudeur fiscal Johnny Halliday.
A part ça, comme si la politique me ramenait à la vie et achevait la lente convalescence de l’après Lehman, je suis plutôt heureux. Gros passage à vide à cause du visa, mais en fait, je me sens bien. Demain soir, je suis en vacance. J’ai actualisé mes albums photos. J’ai fait de belles promenades avec Jun. Et puis je ne pense plus à ce que j’ai envie de faire, je m’amuse beaucoup, je fais ce que je veux. C’est une liberté d’être que je n’avais pas éprouvée depuis longtemps. Et je suis au Japon. C’est vrai que le travail est pas folichon, mais il y a pire et j’ai pas mal de temps. Je dois juste rajouter quelques heures de cours ici et la pour atteindre un salaire convenable. Là, c’est trop juste et c’est le vrai problème.
C’est marrant, d’ailleurs, cette histoire de déflation, au Japon. Les prix alimentaires montent assez sérieusement. J’ai constaté par exemple que le grand pot de yaourt, auparavant de 500 grammes, ne pèse plus que 450 grammes. Ça fait quand même une augmentation de 10%, mine de rien, mais en plus, les yaourts coûtent plus chers… Le lait a augmenté, le beurre a bien pris 25% en 2 ans. En fait, on a eu une rupture de stock pendant quelques mois, puis des prix mirobolants. Mais depuis, les cours sont redevenus normaux et, au contraire, la force du yen devrait aider à pousser les prix vers le bas. Eh bien non. La plaquette de beurre de Hokkaido autrefois vendue 295 yens est vendue environ 380 yens aujourd’hui. Sauf chez Donki Hote, où elle a retrouvé son prix d’avant, ce qui pointe bien l’origine du problème. Mais finalement, peut être est-ce cela, une déflation, une méga distorsion dans la ventilation des prix, où la chute du prix est actifs « réels » conduit tout le monde à prendre l’argent où il peut le trouver. C’est peut être là que vient cette impression de Ponzi economy que l’on a en y regardant de près… J’en parlais avec un autre professeur tout à l’heure, c’est pas loin de se casser la figure. Je veux dire, pour de vrai…
Je conclue en vous invitant à signer la pétition sur l’Ouganda et le rwanda, à rejoindre Le groupe sur Facebook.
Et si vous en avez le temps, à me livrer vos impressions sur ces quelques récits que j’ai « commis » ces deux dernières semaines.
Madjid

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