Pour en finir avec mes souvenirs (ça fait du bien, mais bon, hein!)

Et de nouveau le métro. Je crève de chaud. Dehors, il fait froid, j’ai donc sorti le pull roulé. Mais cela fait partie des règles, au Japon, il faut se méfier des températures. On a froid et en fait, c’est parce qu’on vient de passer de 20° à 16, alors on se couvre, et après, on crève de chaud. Ça y est, ils ont sorti le chauffage dans les wagons.
Je suis heureux que mon post hier ait suscité du plaisir. Je dois l’uploader sur ma galerie pour que tout le monde puisse en profiter, mais il est d’ores et déjà accessible sur Facebook. À ce sujet, si vous connaissiez un moyen de partager les commentaires dans les deux sens, ça me plairait bien. Je suis un peu déçu par mon widget de commentaires (je vais devoir me farcir les lignes de codes pour l’enlever, mais en même temps, je ne sais pas trop…). Je cherche un système qui permette d’uploader les commentaires sur ce blog vers FB, et vice-versa. Cela existe t’il? Anyway…
Je vous quittais hier en évoquant Jacques. J’ai alors eu l’idée de rechercher deux personnes de son entourage, Jean-Pierre et Olivier. Je me suis souvenu d’abord d’Olivier, puis de Jean-Pierre, son ami à l’époque. Jean-Pierre vivait avec Jacques et a été son compagnon jusqu’au dernier moment. J’aimais beaucoup Jacques, et cela bien après que nous soyons sortis ensemble (ça n’a pas duré très longtemps). Il me parlait comme on ne m’avait jamais parlé : comme un grand frère, un aîné, et, chose rare, je ne me suis jamais braqué. Je me souviens la rencontre choc mon frère/Jacques, oh lav’vach ! Mon frère avait comme toujours balancé un truc bien direct, mais, chose rare, il s’était méjugé. En général, mon frère vise juste, mais là, ça avait été assez décalé, mal visé. Cependant du côté de Jacques, la réponse avait été tout aussi direct et, bien entendu, à côté de la plaque. En effet, dire à mon frère qu’il ne connaît rien à la vie était assez déplacé… Mais mon frère qui l’avait vaguement affublé du même genre de compliment, c’était aussi très mal vu, car ce n’était certainement pas un fils de famille ! Ah lala, ceux qui connaissent mon frère imagineront très bien…
Olivier a répondu très vite a mon message sur Facebook, et nous sommes devenus « amis » (j’adore ce terme, devenu une sorte de synonyme de « connection »). Le message qu’il m’a envoyé m’a étonné, car il renvoie à cette époque, les controverses de l’époque, et puis moi aussi. Et puis il m’a confié un truc d’une très grande gentillesse : il m’associe à la musique baroque, à un air en particulier, que nous avions écouté ensemble chez Jacques et Jean-Pierre.
Sur mon mur, il a écrit « musique baroque, act up », et hop ! me voilà dans le passé, mon passé, mais aussi l’histoire telle que nous l’avons faite, telle que nous l’avons vu se faire, individuellement, collectivement. Le jour où j’ai mis les pieds pour la première fois chez Madame Salamon, en septembre 1992, je crois que j’aurais été incapable de gérer le flux d’émotions que je ressens en ce moment avec ces photos, avec ce passé. Car ce sont toutes ces émotions, à ce moment ingérables, qui m’ont conduit chez elle. Je crois lui avoir dit que j’étais gay dans les 5 premières secondes, allez vas-y prend ça dans la tronche !, mais elle n’a pas tiqué, et alors ? ça a été le début de la fin dans cette séance car son indifférence a ouvert un silence effrayant, mon propre silence. Je me suis mis à parler, parler, parler. Un énorme cri exprimé par des mots, les premiers qui me passaient par la tête. Quand le débit s’est calmé, je n’avais pas de « repère ». Elle a fini par parler. Re/père, qu’elle a dit, et elle m’a fait un sourire, c’était terminé. Elle ne m’a pas dit combien je lui devrais. Mais c’était bon, j’avais une semaine devant moi. Et en attendant, j’avais tout compris, moi aussi, j’étais en psychothérapie, he he he… Dans la semaine qui a suivi, j’ai dévoré Freud, que je découvrais sous un nouveau jour. Je ne parlais que de « ça » a tout le monde. C’était mon moyen d’exprimer ma souffrance, « je vais voir une psy, c’est génial ». La deuxième séance, c’est sur un air de victoire que je suis arrivé, en pantalon en cuir, mes amis ! Ça a fait flop à la première seconde, je me suis senti de trop, gênant, déplacé. Et finalement, comme par magie, après au moins dix minutes de silence que je me prenais en plein bide, avec des pensées à la con qui revenaient toujours autour de ce fichu pantalon en cuir, de ce mal de ventre est sorti un son, puis des mots, et cela s’est conclu sur le fait que je me sentais « déplacé ». Dé/placé, a-t’elle dit en me souriant. Et elle s’est levée, elle petit bout de femme et moi grand dadet encuiré, elle m’a serré la main, m’a souri, et elle m’a dit à la semaine prochaine. Un mal de ventre incroyable m’a pris qui a duré toute la semaine. J’ai eu comme le souffle coupé, ruminant ce « déplacé » dans tous les sens, et surtout retournant dans tous les sens le fait que je n’avais pas un centime pour payer mon analyste car je ne travaillais plus, je n’avais plus d’argent, j’avais vendu mes livres, mes disques, mon lecteur CD et ma chaîne, ma flûte baroque et ma flûte en métal, des vêtements, on m’avait coupé le téléphone depuis un an. C’était vide, chez moi, je recevais des lettres d’huissiers que je n’ouvrais même plus, je ne voyais même plus mes amis, les bruits dans le couloir me faisaient peur. Je suis allé voir Madame Salamon quand j’ai compris qu’il ne me restait plus qu’une chose à supprimer. La guerre civile en Algérie avait fini d’achever une décomposition en cours depuis des années. J’étais hanté par la mort. Je m’enfermais entre chez moi, chez Lionel et chez mon frère. Une vie faite de pétards, d’alcools et de longues nuits d’errance dans Paris.
Ma troisième séance a commencé par un silence vraiment très très long. La première fois, j’avais été « bien habillé », la deuxième fois « en cuir ». Ma semaine m’avait usé, j’y suis allé normal, sans faire d’effort, pas rasé. J’ai ruminé, comment dire, comment lui dire, et plus je pensais, moins je pouvais parler. « Je n’ai pas d’argent », j’ai fini par dire, mais sa réponse n’a pas du tout été celle que j’attendais. « Pourquoi ? », qu’elle m’a demandé. Ben oui, ça peut paraître logique, mais cette question, je ne l’attendais pas : je m’attendais à être jugé. Alors, j’ai enfin pu commencer à parler de moi sans vomir ma vie. Je crois que c’est la que j’ai parle de montagnes, qu’il y avait des gouffres devant moi. J’avais mis des mots sur mon problème. Comme tous les dépressifs, j’avais conscience que ça n’allait pas, mon état m’avait conduit très loin dans l’exploration de la souffrance et de l’auto-destruction, et je ne savais trop par quel bout commencer. Je ne m’étais pas rendu compte que je venais de faire au moins la moitié du chemin. On a pu enfin parler argent. Enfin, parler est un bien grand mot car elle m’a dit un prix, j’ai juste eu le temps de dire « d’accord » en pensant que je ne savais pas comment je la paierai. Mais j’ai dit d’accord. Je crois que j’ai vendu mon pantalon en cuir dans le mois qui a suivi. Ça a été très drôle, je me revois avec Olivier, aux Puces, on a vendu des trucs et des machins. En fait j’étais content. Je me suis mis au RMI, non s’en m’apercevoir que je n’avais plus de papiers et qu’il m’a fallu les faire refaire, je n’avais pas de sécurité sociale. Plus tard, j’ai trouvé un CES, un cirque, et puis je suis retourné à la fac, et puis… Il a fallu attendre 3 ans pour que je parle enfin d’un sujet qui était loin d’être anodin dans ma vie et dans cette phase que j’ai traversée entre 1991 et 1992. Le SIDA. Rien à ce sujet, et pourtant, quand j’ai commencé à en parler, ce fut comme ouvrir la boîte de Pandore. 2 noms sont revenus. Tim et Jacques.
Quelques jours après une soirée chez Jacques et Jean Pierre, à Bonne Nouvelle, en juin 91? 92?, Jacques a été envoyé à l’hôpital. Et puis quelques jours après, en rentrant chez moi d’une de mes séances de pétards, il y avait un mot de Jean Pierre. « Jacques nous a quittés ». Je suis allé à l’Office à Saint-Eustache, pantalon noir, il y a eu de la musique baroque, on était une vingtaines, j’étais complètement raide. Je n’ai pas vraiment pleuré, j’étais juste anéanti. J’ai pleuré grâce à Madame Salamon, bien plus tard. Je me rappelle la soirée chez Jean-Pierre, les parents. Et puis être passé chez Jean-Pierre un ou deux jours après, l’appartement rempli d’absence. Quel vide, j’adorais Jacques. J’écris et des souvenirs reviennent, ça ne me fait plus mal, cette époque. Ce sont donc vraiment des souvenirs…
Tim, on s’était rencontrés au BH, il était venu chez moi, on avait couché ensembles, il était parti tôt le matin, il avait laissé son tel sur un bout de carton avant de partir. Moi, je dormais encore. Je me souviens de sa redingote. On s’est croisés, recroisés, et en 87 on a commencé à se retrouver plus souvent. Je me souviens là aussi d’un petit mot sur ma porte un jour où je revenais de chez les Maurat, où je m’occupais de Solène (je reste persuadée que c’était une forme d’autisme et que les médecins étaient incompétents, mais bon…). Je crois que le petit bout de papier est encore dans mes affaire, ici, à Tôkyô, ou en France, chez Freddie. On s’est revus en amis, pas en amants, on sortait, Le Palace, Le Club, le Scorpion à côté du Palace. Je me souviens un soir, on a Corn-Flakisé sa rue. En sortant du Palace, un petit matin, on est allé ensemble au BH après avoir fait un détour par Haute Tension. Il m’a dit, comme ça, « Je crois que je suis séropositif ». Je n’avais pas le savoir faire de Madame Salamon, je ne me suis pas arrêté, je n’ai pas dit « ben merde, raconte ! ». J’ai dit « C’est vrai ? ». Ce n’est pas que ça ne m’a rien fait. Non, je me souviens de conversations avec Éric Eudeline à cette époque, il y avait comme une impuissance des faits. Je me rappelle un type que j’avais rencontré et qui m’avait briefé parce que je ne comprenais pas pourquoi il fallait mettre une capote (on était en 86). J’avais vu Parting Glanses dans une salle aux 3/4 vides. On était très très mal informés, le cycle militant gay volait en éclats, entre indifférence de la masse et SIDA.En gros, je n’ai pas réagi. J’ai par contre pensé très fort, « ben merde ». Il m’a conseillé de faire un test moi aussi. Et la soirée a continué. J’avais 22 ans, il en avait guère plus. On était tous bien jeunes pour vivre un truc pareil. Il y avait eu la Brejnev-Reagan et la bombe atomique, le chômage de masse et voilà que le sexe pouvait tuer. Parce que quand Tim m’a annoncé sa séropositivité, c’était un peu ça que ça voulait dire. J’y ai pensé souvent, on en a jamais vraiment parlé. Moi, je n’avais pas les mots. À la maison s’était joué un drame familial en silence entre mon père et ma mère, j’avais appris à ne pas parler, à laisser couver.
Il y a eu la rentrée après les vacances, on s’est croisés en boîtes, mais la politique m’a re-happé, de son côté il a étudié plus sérieusement. Par la suite, je n’ai pas été présent du tout, malgré le fait que Tim était quelqu’un que j’aimais beaucoup. On se croisait à ce qui allait devenir Illico, j’allais bavarder avec lui les vendredis soir quand il surveillait le minitel. Il m’a donc fallu du temps pour enfin vider ce sac devant ma psy. Je n’ai que très peu pleuré, chez elle. Pour la mort de mon père et pour n’être quasiment jamais allé le voir à l’hôpital (je trainais avec Tim, tiens, justement !), quand j’ai compris ce que j’avais fait en vendant mes flûtes (une douleur…), et quand j’ai enfin parlé du SIDA. Notre génération s’est pris un de ces machins, c’est un monde que nous avons perdu. Un monde léger et rieur, jeune. Il y a eu Olivier C. en 91 (mes photos), PAB en 92, la mort de Jacques… Et cela nous amène à ACT UP.
Car si Olivier T. m’associe, bien que j’ai eu finalement peu de liens avec elle, elle a suscité des conversations a n’en plus finir entre tout le monde. Le SIDA posait pour moi un problème que je ne savais pas traiter : qu’est-ce qu’on fait ? Mes conceptions politiques ne collaient pas. Je peux faire grève, militer, convaincre, mais contre un truc qui tue, qu’est-ce qu’on fait ? Olivier m’a fin 90/ début 91 invité à adhérer, il venait d’apprendre sa séropositivité et ne voulait pas y aller tout seul, il voulait que je vois. J’avais arrêté toute activité politique, la guerre du Golfe avait fini de liquider mes dernières espérances, mais il voulait savoir ce que j’en pensais. L’association faisait parler d’elle, mais je ne voyais pas bien la différence entre les associations. AIDES était tout ce que je déteste. Pas que les gens n’y soient pas bien, et dévoués, et sincères, mais pour moi, des associations comme AIDES ne devraient exister que pour les typhons et les tremblements de terre. Le SIDA, c’est une maladie, donc ce devrait être du ressort de l’état et des collectivités locales. Voilà un peu ma pensée à l’époque, et globalement ma pensée aujourd’hui. J’avais un peu entendu parler, mais le zap à Notre Dame où je me suis retrouvé m’a particulièrement impressionné. J’ai été séduit immédiatement. En fait, je n’étais pas d’accord avec ce que j’ai entendu à la première réunion où je suis allé. Le discours sur l’AFLS me semblait injuste : attaquer le gouvernement, pourquoi pas, mais je n’entendais rien sur les subventions que se partageaient allègrement les associations, et ça me gênait. Cela me semblait trop facile, alors que FG ne vivait que de ces subventions, le SNEG recevait de petites fortunes, bref, la « communauté » se sucrait avec l’argent de l’état, sans contrôle. Et ACT UP, qui critiquait avec raison l’inefficacité des campagnes de préventions, ne disait pas un mots sur une AFLS qui était un directoire d’associations subventionnées. Je pense que l’on a là un moment charnière pour comprendre la période 1995/2000, où tout ce faux consensus a volé en éclat avec la réduction du débat en une opposition Dustan/Lestrade. Des questions importantes avaient été éludées dès la fin des années 80, et les trithérapies ont mis cela en évidence. Enfin, bon…
Je me souviens de discussions interminables chez Jacques et Jean-Pierre, et qui font naître ce souvenir à Olivier T (pas celui des photos). Mes sentiments étaient partagés, mais j’étais séduit. ACT UP a sorti le VIH du cercle de la pitié. ACT UP nous a aidé à parler du SIDA entre nous, à ne pas en avoir honte, à mettre des mots sur la maladie et sur l’épidémie ; le simple fait qu’on en ait parlé entre nous à cette époque était une grande victoire pour cette association. Elle a fait le truc incroyable de permettre à des citoyens de s’approprier une maladie et d’en faire un enjeux de société. Ca me semblait fou, « manifester contre le SIDA », comme l’a réduit à cette époque le bavardeur frigide Finkelkraut, mais ça marchait. J’ai triballé tous les socialistes que j’ai pu dans les manifestations, qu’ils voient un die-in au moins une fois dans leur vie. Je me rappelle la tête d’Autexier –au demeurant, un type bien sur ces questions, comparé à un Delanoë qui a attendu 2001 pour parler de sa sexualité et qui n’a jamais signé les textes « gays » du PS à cette époque. Je me souviens de ces jeunes socialistes qui voulaient faire un courant « de gauche » (infiltré par la LCR, tiens, là, je vais enfin balancer : j’ai été suspecté d’avoir balancé à l’époque le réseau LCR infiltrant le PS par la tête de la manœuvre Jacques Kergoat –ben oui, les gays, ce n’est pas honnête !, alors que celui qui a balancé a continué à fréquenter ce vieux connard de Kergoat, ça me mettait hors de moi !) je leur parlais d’ACT UP, alors un jour, ils ont décidé d’aller voir. Parmi eux, la Reine des aparatchiks, Sylvie Sherrer, une conne analphabète de la dialectique, mais professionnelle qui change d’organisation politique à chaque élection afin de bien être à son « poste » à la mairie du Xe. Elle me détestait, ça sentait à 100 mètres, parce qu’un jour, j’avais osé dire qu’un permanent n’est pas un militant politique car il est payé, bref, il ne fait que son travail. Elle, son patron, c’était la MNEF… C’était une des taupes de la LCR.
Ça les a vanés, ACT UP. Ça les changeait de l’apparatchikisme. L’un d’entre eux a cependant progressivement pris le large et a fini par faire son coming-out. Franck était un gentil, au milieu de cette bande. Bref, oui, comme beaucoup de gays, j’ai beaucoup parlé d’ACT UP autours de moi. Je me souviens la manifestation à 18h30 place de la République, une foule en vêtements de tous les jours, les pom pom girls de la gay pride, le zap de notre dame, les picking au ministère de la santé, le zap a Tarnier (la, c’est prémonitoire) ou j’ai bavarde avec Clews (j’ai été très très très surpris par le garçon), des collages dans le quartier Bastille etc… J’ai progressivement abandonné toute réserve. Après tout, la société dans son ensemble ne présentait que du silence et de l’indifférence. Vers 91/92, il n’y avait rien, but ACT UP.
Quand en 1995, j’ai enfin abordé le sujet du SIDA avec ma psy, il s’agissait de sortir enfin du cycle de peur dans lequel je m’étais enfermé. J’ai alors recommencé à faire de jolies rencontres. J’ai abandonné ma culpabilité. C’est l’époque où j’ai déménagé, aussi. Et puis il y avait la fantastique Gay Pride de 1994 rue de Rennes. Il y avait eu la fac, les Spont’Ex. J’étais bien reconstruit. Je me souviens avoir défilé avec ACT UP en 93 habillé 1940 avec une étoile rose…
C’est la première fois que je mets de l’ordre dans mes souvenirs de cette époque. Je suis content ! C’est passé si vite, et j’ai longtemps traîné dedans tellement de regrets.
Putain, j’adore écrire !

Madjid


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