Saison des pluies

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Je me dis que si un producteur avait du flair, il achèterait les droits télévisés d’Adèle-Blanc-Sec, du Monstre des Glaces et de La fleur au fusil…

J’ai posté mercredi ce billet que j’avais écrit jeudi la semaine dernière. Il faisait beau alors, mais depuis dimanche, c’est officiel, nous sommes entrés dans la « saison des pluies », que les japonais appellent tsuyu (梅雨), littéralement « pluie des pruniers », certainement parce que ces pluies coïncident avec les récoltes des prunes japonaises.

Pour tout dire, je n’aime guère cette appellation de « saison des pluies » car pour tout dire, la principale caractéristique de ce long mois et demi, ce n’est pas tant la pluie que le très fort taux d’humidité. Par exemple, il y a des jours où le soleil tape fort sous un ciel bleu blanchi et lumineux, et où au moindre mouvement vous dégoulinez de partout tant l’air est chargé d’humidité. Je préfère donc le terme de « saison humide », mais peut être finalement ce sont les japonais qui ont le meilleur mot, tout simplement « la pluies des pruniers ».

Durant un mois et demi, les températures montent par vague, alternant deux ou trois jours de pluies et deux ou trois jours de soleil et de chaleur moite. Les pluies peuvent être soudaines, elles peuvent n’être qu’une sorte de crachin très léger, elles peuvent être courtes ou ininterrompues, et le soleil, quand il apparaît, fait immédiatement prendre dix degrés à la température, un peu comme dans une cocotte-minute.

Une grande majorité de japonais détestent cette saison, pour ma part, je l’adore. C’est la saison des matsuri (祭), ces fêtes religieuses rappelant les origines agraires de la culture populaire mais aussi les anciennes solidarités locales. La nature, quand à elle, est chatoyante, la moindre pousse se transforme en arbre en un rien de temps. Cette année, pour le moment, la température n’est pas étouffante et les nuits ne surchauffent pas. Je redoute un peu ce moment où je devrai utiliser l’air conditionné, vers mi-août, quand s’achève le tsuyu et que l’été à proprement parler commence. Autant j’adore ce moment, quand les températures prennent encore cinq degrés, autant c’est vrai que les nuits sont difficiles et agitées, moites, la fatigue gagne… C’est à ce moment là que les cigales commencent à chanter, ça, ça n’a pas de prix. Des fois, je me dis qu’en France, désormais, je me sentirais plus à l’aise à Marseille qu’à Paris.

Tiens, ça me fait penser, je n’ai pas encore regardé Marseille, sur Netflix. Visiblement pas réussi du tout, mais je compte bien regarder. En ce moment, je regarde Penny dreadfull. Je me dis que si un producteur avait du flair, il achèterait les droits télévisés d’Adèle-Blanc-Sec, du Monstre des Glaces et de La fleur au fusil, et même de Même, il y a de quoi créer un univers télévisé incroyable avec tous ces personnages de Jacques Tardi, avec des machines, des monstres, des sectes, des dinosaures, des politiciens véreux, des petits bourgeois confortables avec leurs maîtresses légères…

Depuis que j’ai arrêté les cours particuliers, j’ai beaucoup de temps, je me repose et j’arrive au travail assez reposé. Lassé, mais disponible, disons. Mes matinées sont longues, je lis, je regarde des séries américaines. Le matin, je n’écris pas, je ne me lève pas assez tôt pour ça. J’aime le petit matin pour écrire, après, je ne sais pas, peut être le fait de savoir que je dois y aller…

Beaucoup de mes étudiants sont âgés. Je les regarde vieillir semaine après semaine. Récemment, j’ai remarqué que les yeux de l’un d’eux sont plus vitreux, moins brillants qu’avant. Il y a quelques mois, l’un d’entre eux dont le niveau était assez bon s’est soudainement mis à chuter, sa mémoire faiblir, un sourire s’installer sur ses longs silences, j’ai vu sa démarche ralentir, la progression irrémédiable d’Alzheimer…

Le Japon est un pays très âgé. Il n’y a que les jeunes touristes qui voient la jeunesse dans ce kawaï institutionnalisé, mais tout, ici, respire le troisième âge, jusqu’à cette dominante beige dans la mode, comme si la couleur était quelque chose du passé. Samedi dernier, Jun et moi sommes allés à Bunkamura visiter l’exposition Utagawa Kuniyoshi et Utagawa Kunisada. Incroyable parfois la vivacité des kimonos il y a deux cents ans, la richesse des motifs, leur exubérance. La dominante beige actuelle est quelque chose d’incompréhensible, sauf si on pense que la population vieillit… Mais voir cette mode s’imposer également chez les jeunes femmes est d’une tristesse sans fond. De jeunes vieilles habillées dans des sacs à patates sans forme ou dans ces vêtements cucul à dentelles avec jupe droite beige, et pour seule excentricité un grigri Mickey qui pendouille à la poignée du sac Vuitton. Vieillir n’est pas réjouissant individuellement, mais une société vieillissante, c’est d’une tristesse…

C’est peut-être pour cela que le régime politique en France se durcit, offre un profil toujours plus autoritaire, il faut mater, contrôler la jeunesse, car il y a beaucoup de vieux mais il y a aussi beaucoup de jeunes, et ils n’ont pas envie de devenir beige…

Et le beige, c’est d’une tristesse…

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