SIDA : lettre ouverte à Ségolène Royale, candidate aux primaires socialistes

Dessin de Keith Haring
(cliquez sur les liens en rouge pour plus d’information)
Chaque lecteur de ce blog connait mon soutien à la candidature de Ségolène Royal pour les prochaines élections présidentielles. Après avoir souvent posté à ce sujet, j’ai décidé de créer un blog à part car je suis parfaitement conscient que l’on peut aimer mon blog sans approuver ce choix. J’écris en toute liberté, mais je connais aussi la contrainte qu’impose l’exercice du blog : je suis lu. Écrire sur la politique n’est pas un exercice d’écriture. Cela doit être plus pensé, plus travaillé. Comme vous voyez, il m’arrive de redéfinir ce qui reste un projet d’écriture.
Le but est d’écrire sur moi, et Madame Royal n’est pas moi.
Pourtant, je vais m’autoriser ici un exercice particulier. Une Lettre ouverte est l’expression d’un sentiment profond, d’une conviction. Et dans le cas qui nous occupe, je m’adresse à Ségolène Royal parce que sur la question du VIH, je désespère d’entendre enfin la parole des politiques sortir des banalités du « tragique » et de « l’espoir ».
Mais après avoir vu une vidéo filmée lors de la Gay Pride où le représentant de AIDES exprimait toute l’ambiguité (je pèse mes mots) de cette association au milieu d’une indifférence totale des politiques qui étaient là, Éva Joly, Bertrand Delanoë, Philippe Ducloux, Jean Luc Mélanchon et beaucoup d’autres encore, je me suis dis que non, ce n’était plus possible. Alors puisque ce débat pourtant si nécessaire d’une remise à plat de la prévention VIH est impossible, et puisqu’il s’agit d’une politique impliquant des financement publics, peut être la Primaire socialiste est le dernier espace de débat pour interroger un échec patent qui se solde, depuis plusieurs années, par une remontée en flèche des contaminations VIH, mais également des co-infection VIH/VHC ainsi que divers IST.
Je prie quiconque qui reprendra cet article sur le net, de bien vouloir y joindre cette introduction sans laquelle on ne pourra comprendre le sens de cette lettre ouverte.

Chère camarade Ségolène Royal,

Alors que mardi encore tu accordais ta seconde Twitterview, prouvant toute l’importance que tu accordes au débat auquel tant d’autres se dérobent, j’utiliserai moi aussi internet afin de t’inviter à ouvrir un nouveau débat dans le cadre de cette primaire. Je t’ai choisi voilà bien longtemps maintenant. J’ai toujours pensé que la jeune ministre de l’environnement, enceinte de 7 mois qui alla prêter main forte aux manifestants de Greenpeace s’opposant à une livraison d’uranium destiné à être enrichi, était une femme courageuse et droite sur ses principes. Elle fut parait il sermonnée par le premier ministre d’alors, son premier ministre, mais je pense que nous sommes nombreux à avoir été frappés par cette marque d’indépendance et cette force de caractère, de celles qui font, quand leur heure est arrivée, les grands hommes et les grandes femmes d’état.
Tu as, au cours des dernières années, accompli un travail remarquable sur le plan idéologique, il suffit de visionner sur le site Désir d’Avenir les vidéos des Universités Populaires pour constater à quel point une vision « ségoléniste » émerge, synthèse moderne qui dépasse, et de loin, le cadre d’un Parti Socialiste replié sur lui-même et continuant d’envisager la politique comme la manifestation d’une expertise venue du haut pour être validée par les militants, déniant aux citoyens leur expertise propre, leur vécu, leur expérience. Un parti qui se veut le centre de tout et qui, d’élection présidentielle en élection présidentielle, nous rappelle invariablement à quel point il n’est, finalement, le centre de rien.

Cette posture particulière, tu l’as mise en oeuvre au travers de tes politiques. Tes adversaires pointent tes erreurs et tes approximations, oubliant d’une part à quel point Francois Mitterrand ou même Charles de Gaulle pouvaient être eux-mêmes bien approximatifs, et d’autre part à quel point tes décisions en région se révèlent, elles, conformes à des principes que bien des socialistes limitent à de parfaites déclarations en s’obstinant à ne pas les appliquer dans les faits. Peu amène à faire des discours sur le viol, tu es celle qui a essayé de faire émerger la parole des enfants qui en étaient victimes. On te dit réactionnaire, mais c’est toi qui as fais rentrer la pilule du lendemain dans les écoles, ainsi que les préservatifs, et c’est toi qui a initié dans ta région le pass-contraception. Tu n’as jamais, ou très peu, trouvé de soutien dans ton propre parti sur ces questions touchant à la sexualité. Car pour toi, nulle doute qu’un adolescent conscient de sa sexualité sera à même de prendre des décisions qui n’entraveront ni son avenir scolaire, ni sa vie amoureuse. L’ignorance et la solitude, l’impossibilité à trouver un adulte référent expliquent pour beaucoup les grossesses non désirées, et le viol, le harassement expliquent bien des suicides, bien des échecs scolaires et professionnels. Tu as compris qu’il n’y a pas, en politique, de sujet tabou, pas plus la sexualité qu’aucun autre sujet.

L’épidémie de VIH connait depuis plusieurs années un véritable retour. Cette tendance n’est pas exclusive à la France, on l’observe un peu partout, particulièrement chez les homosexuels de sexe masculins. Il semblerait que toutes les tranches d’âge soient touchées, avec toutefois une augmentation assez forte chez les plus jeunes. Ce « relâchement » (relapse, en anglais) est observé depuis la fin des années 90, et il n’a cessé depuis de progresser. Les trithérapies s’avérant de plus en plus efficaces, les associations ont vu leurs effectifs fondre au même moment où les gouvernements successifs dès l’époque de Lionel Jospin, considérant que le mal n’était plus un problème, commencèrent à réduire les budgets liés à la prévention. Une crise du bénévolat se manifesta en même temps que les plans sociaux à répétition (notamment pour Sida Info Service). Les dirigeants de ces associations, piégés par cette nouvelle donne, ne surent pas, ne voulurent pas remettre en cause leurs propres structures, devenues de fantastiques bureaucraties au fonctionnement et au financement opaque, et tentèrent de s’adapter en se diversifiant et en épousant progressivement l’ère du temps.
La situation est aujourd’hui dramatique. Alors qu’une réelle expertise sur les questions de VIH, partagée et portée par un certain nombre de militants et de militantes historiques devrait permettre de recibler la prévention dans le but de revenir à la contamination zéro des années 90, nous voyons depuis quelques années triompher l’acceptation du relâchement des pratiques et sa théorisation. Ainsi, les décisions de Roselyne Bachelot ont de fait avalisé cette approche (traitement comme forme de prévention, séro-triage, etc, promue tant par AIDES que par l’association The Warning de plus en plus influente sur ces questions). La gauche elle-même semble accepter cette situation comme le révèle une vidéo filmée lors de la Marche des Fiertés : alors que le président de AIDES déclare que désormais on saurait qu’une personne infectée par le VIH suivant son traitement ne contamine pas (ce qui en fait n’est pas du tout démontré, et ne protège pas, par exemple, des hépatites), on constate autours de lui une indifférence totale des politiques présents, toutes couleurs confondues, prouvant ici leur méconnaissance totale de la réalité du VIH : près de 7000 contaminations recensées en 2009, près de 40% chez des hommes homosexuels, beaucoup ayant moins de 25 ans. Comment s’en étonner quand une grande association comme AIDES développe, sans que les pouvoirs publics ne s’en soucient, un discours ambigu, incompréhensible et éventuellement mensonger.

Tu fus la ministre de la pilule du lendemain et des préservatifs dans les écoles, tu est la présidente de la région qui a initié le pass-contraception. Tu n’as jamais eu peur de parler du viol, de sa réalité sociale, notamment quand il touche aux enfants. Bref, tu es la candidate aux primaire socialistes qui n’a jamais eu peur d’affronter la question de la sexualité, sujet pour lequel tes adversaires préfèrent se défausser sur des associations qui, dans le cas du VIH, errent désormais (je pèse mes mots), sans même réaliser l’échec patent de la politique en la matière.
Le bilan de Bertrand Delanoë en matière de VIH restera 15.000 nouvelles contaminations sans qu’il n’ait initié aucune réelle politique en la matière, s’abritant derrière des associations comme AIDES qui s’intéressent plus au confort des séropositifs de classes moyennes préfèrant vivre sans préservatifs à celles et ceux qui, séronégatifs comme séropositifs, méritent une réelle sensibilisation, particulièrement dans les quartiers populaires et au sein des minorités issues de l’immigration.
La question aurait du être posée par les principaux intéressés. Elle a hélas été verrouillée, et tous ceux qui auraient aimé que soient rediscutée la place centrale du préservatif sont traités en paria, comme ce fut le cas de Didier Lestrade, fondateur de ACT UP Paris et du magazine TÉTU.
Il reste donc cette primaire socialiste, pour qu’émerge un questionnement de la politique de prévention du VIH, et au delà, de la politique de la sexualité en France. J’ai la conviction que tu es la seule candidate pour cette remise à plat. Car quand ces associations vivant des fonds publics présentent à l’arrivée si peu de résultat, il convient au politique de les interroger et, au besoin, de les recadrer. C’est ce que tu appelles l’ordre juste.
Sans vouloir préjuger d’une telle discussion à mener, une politique qui viserait le zéro contamination devrait rappeler que le préservatif (masculin et féminin) est la pièce centrale de la stratégie d’arrêt de l’épidémie et que le test de dépistage en est la pierre angulaire : il convient donc que les médecins scolaires, les médecins du travail et les médecins de famille assurent régulièrement une information à ce sujet. La publicité pour les fabricants de préservatif devrait enfin être autorisée à toutes les heures et sur toutes les chaines de télévision.
L’état devrait, en collaboration avec les associations VIH et, selon le principe qui t’est si cher de démocratie participative, avec des associations représentatives des diverses minorités qui composent la nation française, élaborer des campagnes ciblées afin d’entretenir un degré de conscience de l’épidémie au sein des groupes les plus vulnérables : immigrés d’Afrique du nord, d’Asie et de l’Afrique Sub-Saharienne; SDF; homosexuels et lesbiennes; transsexuelles; prisonniers; travailleurs du sexe.
Ce ne sont ici que des pistes de bon sens. Une véritable politique de prévention est aussi une politique d’information et d’éducation à la sexualité.
À l’heure où les politiques se reposent sur une association comme AIDES, association qui préfère promouvoir des traitements (coûteux et aux effets secondaires très lourds à long terme) comme forme de prévention, faisant du préservatif une simple option (parfois même décrite comme stigmatisante) parmi d’autres, il revient aux politiques d’avoir le courage de remettre cette politique à plat au vue de ses piètres résultats et des ambiguïtés qu’elle introduit dans l’esprit des plus jeunes. Le débat devrait se faire sans à priori, avec tous les acteurs associatifs, mais en ayant à l’esprit que le traitement comme prévention, partout où il est appliqué, n’a pas réduit le retour de l’épidémie, et que c’est donc lui qui devrait n’être qu’une option : l’implication des acteurs de terrain, leur association est ainsi qu’un état acteur de la mobilisation sont donc des éléments primordiaux. Continuer de se reposer sur une seule structure, ouvertement convertie à une option purement idéologique de la politique nous conduit droit dans le mur. Les 7000 victimes de l’an dernier rejoignent ainsi les 6000 victimes d’il y a deux ans. Combien les rejoindront cette année, l’an prochain ?
Je souhaite de tout coeur que le bilan des deux quinquennats de Ségolène Royal soient à l’exact opposé du bilan calamiteux de la droite et du maire de Paris, ce dernier dont on pouvait espérer que son homosexualité le rendrait plus courageux en la matière.
Amitiés Socialistes,

Madjid Ben Chikh


Commentaires

2 réponses à “SIDA : lettre ouverte à Ségolène Royale, candidate aux primaires socialistes”

  1. Avatar de Lairderien
    Lairderien

    Bonjour,

    Chaque fois que je vous lis, je me dis qu'il y a encore de l'espoir dans l'Homme.

    Belle lettre ouverte, très bien argumentée adressée à la seule personne que comme vous, je crois capable de reprendre ce combat.

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