Un matin

Olympus OMD-EM1 Mark II – Summilux 15mm f:1,7 – Vieille maison, quartier de Kotobuki, arrondissement de Taito, Tôkyô

J’entends la voix de mon voisin américain, je veux déménager (…) Je n’arrive pas du tout à écrire la nuit. J’aime le matin, et la lumière.

Je suis à la maison.
C’est silencieux.
L’écran est gris, les lettres blanches se détachent.
Je n’ai rien à écrire. Il y a beaucoup trop. Ma tête va exploser.
Pas de colère, pas de frustration. Exploser d’idées, de sentiments, d’envies, de regrets et de nostalgies. Oui, avec un « s », c’est beaucoup mieux.
Je regarde l’écran, c’est comme un grand vide.
Je m’invente des sorties. Acheter ci, déménager. Oui, déménager, tiens. Pour aller où? Pour aller là où il y aura de la lumière. Chez moi, il n’y en a pas.
Je me suis inventé un logement idéal, je le vois comme si j’y avais habité. Un grand salon rectangulaire, peut-être vingt mètres carrés. J’y ai peint les murs en gris, les plaintes en blanc. Je ne crois pas qu’il y ait une cheminée. Deux fenêtres qui donnent sur un balcon. Et puis ce salon donne sur une chambre, ma chambre. Là, j’y ai peint les murs en blancs. Quand on entre du salon, on fait face à mon bureau, et de la chaise face au bureau, sur ma droite, il y a une autre fenêtre qui elle aussi donne sur le bacon. Dans la chambre, tout est blanc, même la housse de la couette. Le lit est sur la gauche, et du salon, on ne le voit pas.
J’ai mis ici et là des photographies que j’ai prises, des photographies en noir et blanc. Dans le salon aussi, d’ailleurs. Là, il y a un grand canapé moderne, très simple.

J’entends la voix de mon voisin américain. Je veux déménager.

Le salon doit certainement avoir été deux anciennes pièces, car il y a une double porte-fenêtre ainsi qu’une porte qui donnent sur le long couloir qui longe l’appartement. Du côté du salon, il y a la porte d’entrée. Plus loin, il y a la salle de bain, enfin, je pense. Je ne les vois pas, pas plus que je ne vois la cuisine. Je ne sais pas non plus à quel étage ni dans quel arrondissement, même si depuis des années je sais que c’est sur la rive-gauche. J’ai été incroyablement surpris les dernières fois par mon regard sur le 14e, sa lumière, son ciel. C’est à Paris, ça, je le sais, mais ce n’est pas dans le dixième.

Le dixième, Bonne-Nouvelle et Strasbourg-Saint-Denis, c’est chez moi, c’est mon véritable pays natal, j’y ai passé mes six premiers mois avant de m’y enfermer comme on s’enferme dans l’utérus de sa maman de peur d’en sortir. Je suis un enfant prématuré, je ne voulais pas sortir, ou peut-être si, je voulais à tout prix sortir même si je n’y étais pas vraiment prêt. J’ai fait la même erreur quand j’ai eu 18 ans, je suis parti, je suis allé à Strasbourg-Saint-Denis, et j’en ai fait ma prison. Enfin, pas vraiment, j’en ai fait l’outil de ma renaissance, une couveuse, j’ai pu y échapper à des prédestinations sociales, j’y suis devenu « gratuit ». Mais au prix de combien d’errances et de souffrances.
Je vous ai raconter tout ça, je ne vais pas vous re-servir le plat. La page est tournée, ne restent qu’une sorte de nostalgie, et des regrets.

J’aurai bientôt 56 ans, et je crois avoir finalement frôlé un secret de la vie. On reste le même toute sa vie, la vieillesse n’existe pas, oui, c’est vrai qu’on « reste jeune », à moins de ne devenir un vieux con. Par « on », je parle de la pensée, de l’esprit, de l’âme. On ne vieillit pas, on se construit, on mûrit, on mâture, on change au gré de l’expérience, mais ce qui nous constitue reste invariablement le même, et c’est pour cela que l’on reste habité par nos souvenirs, certains plus vifs que d’autres. Ils sont là, comme si c’était hier. On est le même qu’à 20 ans.
Ma propre vie me hante, et mon ami Maria est hantée par les mêmes questions, les mêmes doutes, les mêmes regrets et les mêmes nostalgies. Reste la question fondamentale, qu’en faire, de tout cela.
J’y puise pour ma part une énergie nouvelle que je ne connaissais pas. Une force nouvelle, peut-être la force de ma maturité. Je la sens grandir et elle a d’ores et déjà changé mes façons de faire.
Je veux déménager, oui. Et puis finalement, non, je ne le ferai pas, à moins que, parce que nulle part au Japon je ne trouverai ce lieu que mon esprit a créé, le lieu où finalement je poserai mes valises. Vous voyez, je ne suis pas du tout irréaliste, un deux pièces, quarante mètres carrés et quelques, on ne peut pas dire que ce soit trop. C’est là que je veux vivre, maintenant, et quand je regarde les appartements à Tôkyô, aucun jamais ne m’apportera cette satisfaction d’y être enfin. Aucun ne m’empêchera de vouloir déménager encore. Alors je ne déménage pas, et ce faisant, j’économise une belle somme.
En même temps, je pense à maman qui a vécu toute sa vie en remettant tout à « plus tard », et je me dis qu’éventuellement, si la lumière était belle…
J’ai un peu d’argent de côté pour la première fois de ma vie, et ce qui est nouveau, c’est que je m’y accroche, je ne veux pas y toucher, chaque fois, je pense que je peux en avoir besoin. Celles et ceux qui me connaissent sauront qu’il y a là un réel changement car j’ai longtemps vécu en dépensant aujourd’hui l’argent qu’éventuellement je gagnerai un jour.
Reste donc une sorte de nostalgie enrobée de regrets. Cette nostalgie, ces regrets finiront par partir comme la vieille peau qui laisse la place à une nouvelle, encore un peu de temps. Je dois les écrire, en faire une oeuvre, mon oeuvre. C’est tout cela qui se bouscule dans ma tête.
Cela ne m’a pas empêché de passer quelques jours à Kyôto. C’est sur mon vélo, loin de Facebook et de l’agitation factice du pseudo-monde que j’ai pris conscience que j’allais littéralement exploser, qu’un trop plein d’idées se télescopaient en moi et que je perdais mon temps bêtement, fabriquant aujourd’hui d’autres regrets pour demain. Encore un beau sujet.
Je crois avoir longtemps agi pour ne pas sacrifier quelque chose d’essentiel, de précieux. Je vous raconterai. Et si je vous raconte tout cela, si j’en fais une oeuvre, alors les regrets s’effaceront. Presque.

Olympus OMD-EM1 Mark II – Summilux 15mm f:1,7

Hier, j’ai acheté un nouvel objectif pour mon appareil-photo. Je complète ma gamme d’objectifs tout en renouant avec le « point and shoot », un truc qui me manquait. Mieux, je crois être maintenant prêt à vendre mes Sigma.
J’aime mes Sigma., mais d’une façon irrationnelle. Ils sont capables de photos absolument incroyables, mais. Mais un bon appareil photo est celui en qui on peut faire confiance. Je n’ai pas confiance en eux.
J’ai acheté un « Pana-Leica », d’occasion et à un prix imbattable, le 15mm f:1,7, un grand angle assez petit et hier, en revenant de Akihabara où je l’ai acheté, je me suis amusé à faire du clic-clac, ce que l’on ne peux pas faire aisément avec des « zoom ». Mon premier « prime lense ».

Olympus OMD-EM1 Mark II – Summilux 15mm f:1,7

Ça me manquait, regarder l’écran, ne pas utiliser le viseur, et juste appuyer après avoir composé la photo, exactement comme avec un appareil pas cher. Il est d’une incroyable qualité et il fait de mes Sigma des sortes d’utopies car non, mon Olympus est bien plus sophistiqué et je lui fais totalement confiance, ce qui veut dire que je peux l’emmener partout désormais avec cet objectif, et m’amuser comme on peut s’amuser avec un iPhone, mais avec un niveau de qualité nettement supérieur.
J’aime photographier la texture des choses, photographier les ombres, les contrastes, et avec mon Sigma DP1, c’était presque une véritable obsession. Hier, je me suis amusé et bien que ce fût totalement improvisé, j’ai bien aimé. J’en ai profité pour acheté quelques disques d’occasion aussi. Belle promenade, caméra au poignet.

Jour suivant. Je suis fatigué de finir mon travail si tard, je rentre à vingt-deux heures presque trente, je mange mal et je n’ai pas envie de me coucher tout de suite, alors cela reste difficile de se lever de bonne heure, quand j’aurais tout le temps pour écrire, ralentir le temps, me poser, laisser ces trente minutes nécessaires de vide agir avant de me lancer. Je n’arrive pas du tout à écrire la nuit. J’aime le matin, et la lumière.

Olympus OMD-EM1 Mark II – Summilux 15mm f:1,7

Ce blog va redevenir très personnel et très intime. Je vais créer des sections de site où je publierai des nouvelles et des poésies, une section « pédé », aussi, car j’ai déjà écrit sur le sujet, et il y a encore beaucoup à raconter.
Je trouve régulièrement de très beaux courts métrages qui méritent d’être mis en avant ici, qui réveillent quelque chose en moi que je dois raconter.
La partie photographie va également s’étoffer de nouveau, elle est totalement absente depuis que j’ai supprimé le plug-in qui me permettait de partager des albums de mon compte Flickr. Avant Instagram aussi, ce broyeur qui fait de la photographie un immatériel périssable, une émotion d’un dixième de seconde entre deux publicités.
Il faut tout ça pour ne pas que ma tête explose du trop plein retenu par des années d’intoxication aux réseaux sociaux qui m’ont littéralement asséché, ruiné intérieurement. Toutes ces matinées passées à y écrire, commenter, pour qui, pour quoi, dans quel but et pour quel résultat. Il n’en reste rien si ce ne sont de nouvelles nostalgies, de nouveaux regrets, ce sentiment de ne pas avoir mesuré ni perçu tout le temps qui est passé.
Les réseaux sociaux, c’est comme le travail, finalement. C’est toujours la même chose, on y croise des collègues, on s’y engueule, on y rit, on y tourne un peu en rond, on veut s’en barrer, mais on en a besoin – le travail donne la paye, les réseaux sociaux une existence sociale -, et un jour c’est la retraite, et on a bouffé sa vie à travailler comme on a bouffé sa vie dans la boîte à algorithmes de Mark Zuckerberg qui, lui, veille bien à ne pas y passer de temps. Lui, il dépense les milliard que le travail que nous fournissons dans la boîte lui procurent. C’est vraiment comme le boulot.
Rien que d’y penser, j’en vomirait presque, j’ai passé plus de dix ans dans une taule volontaire… Quel con, mais quel con…

Si vous aimez mon site, je peux vous y partager un espace pour y écrire votre propre blog. C’est un site WordPress, c’est très flexible, il est prêt pour accueillir plusieurs auteurses. C’est à vous de voir.

Ce matin, je me suis levé bien trop tard pour écrire. Je vais me contenter de terminer ce billet. Si je ne déménage pas, je dois définitivement trouver une solution pour être au contact de la lumière de la fenêtre. Je suis fatigué d’écrire face à un mur.


Commentaires

4 réponses à “Un matin”

  1. Avatar de manuel Atréide
    manuel Atréide

    J’ai longtemps pratiqué le « déménagement intérieur », ce truc où, une ou deux fois par an, je réorganisais mon appart totalement en faisant danser les meubles, voire en en supprimant certains pour en ajouter de nouveaux. C’est crevant, mais ça me permettait de voir l’espace sous un jour nouveau. Et puis, au moins, j’avais un bon motif à faire le ménage à fond.
    Ah oui, écrire ou travailler face à un mur, c’est déprimant. Je suis sûr que ton bureau sera plus heureux si tu lui trouves une place face à une fenêtre. Sinon, tes photos me manquent.

    J’espère que tu vas bien. Des bises de Bruxelles !

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup. Je t’embrasse.

  2. Avatar de manuel Atréide
    manuel Atréide

    J’ai longtemps pratiqué le « déménagement intérieur », ce truc où, une ou deux fois par an, je réorganisais mon appart totalement en faisant danser les meubles, voire en en supprimant certains pour en ajouter de nouveaux. C’est crevant, mais ça me permettait de voir l’espace sous un jour nouveau. Et puis, au moins, j’avais un bon motif à faire le ménage à fond.
    Ah oui, écrire ou travailler face à un mur, c’est déprimant. Je suis sûr que ton bureau sera plus heureux si tu lui trouves une place face à une fenêtre. Sinon, tes photos me manquent.

    J’espère que tu vas bien. Des bises de Bruxelles !

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup. Je t’embrasse.

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