Une vendredi au temps gris

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Mes amis hier ont Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sents. C’est StĂ©phane qui a le mieux rĂ©sumĂ© la situation. Si Madjid lisait ce billet, qu’est ce qu’il en penserait, et cela m’a fait sourire. On ne commande pas les sentiments, on vit avec.

Je devais Ă©crire le billet que j’ai publiĂ© hier. Je le devais pour m’y retrouver, pour ne pas perdre le fil d’une histoire compliquĂ©e dans laquelle je me suis embarquĂ© sans vraiment trop choisir.
En fait, c’est toute la question du choix, de ce que je choisis. Et j’ai choisi, et je dois assumer ce choix.
Mes amis hier ont Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sents. C’est StĂ©phane qui a le mieux rĂ©sumĂ© la situation. Si Madjid lisait ce billet, qu’est ce qu’il en penserait, et cela m’a fait sourire. On ne commande pas les sentiments, on vit avec. J’essaie de vivre avec comme je peux, je tĂąche d’ĂȘtre honnĂȘte avec moi-mĂȘme et avec l’autre mĂȘme s’il me fuit, attendant un geste de lui, que ce soit pour me dire que je le lasse, que je l’ennuie, ou qu’il m’aime. Je sais que je suis dans la situation du perdant sublime, mes armes sont limitĂ©es, et je cours le risque de l’épuisement. J’ai un rival qui me domine de la situation qu’il a su installer, et que Nori a acceptĂ©e.

Tout cela je le sais.
Je sais aussi que je suis solide et qu’il y aura un moment oĂč je devrai poser la question en terme simple car je serai las de jouer au chat et Ă  la souri. Il y aura un moment oĂč il devra dire oui, ou non, et qu’importe qu’il dise non Ă  ce moment lĂ . Le confort est apaisant, et je ne suis pas le confort, en fait, je ne serai jamais le confort, j’ai fait d’autres choix.
Quand j’ai quittĂ© la France, aprĂšs avoir Ă©tĂ© un intĂ©rimaire irremplaçable pendant des annĂ©es pour BNP Paribas (moi aussi, je ne voulais pas choisir, tiens, mais chez moi, cette incapacitĂ© Ă©tait professionelle), j’ai choisi de venir au Japon. Je revois mes managers, me convoquant. Le poste Ă©tait budgĂ©tisĂ©, j’aurais pu m’installer, dĂ©velopper ce poste (c’est moi qui l’avais dĂ©fini au grĂ© des ans), j’aurais rachetĂ© l’appartement de ma mĂšre Ă  Paris, je l’aurais sous louĂ© Ă  des touristes japonais pour me payer mes vacances au Japon, bla bla bla
 Ce n’est pas ce que j’ai choisi. Je ne cache pas qu’il ne m’arrive pas de regretter, ce serait faux, et quand j’ai travaillĂ© Ă  Lehman Ă  TĂŽkyĂŽ, j’ai presque regoĂ»tĂ© les joies du confort. Jun a Ă©tĂ© ma derniĂšre Ă©tape dans le confort.
J’ai fait d’autres choix. En rĂ©alitĂ©, j’ai choisi de vivre un rĂȘve d’enfance: je vis au Japon. La vie d’artiste…

Il y a une semaine, Nori s’est amusĂ© et s’est moquĂ© de mon quartier, de ma maison. Il est japonais, et qui plus est d’une famille aisĂ©e, ses critiques sont fondĂ©es dans le cadre japonais. Mais je ne suis pas japonais. Je n’ai ici aucune attache, aucun souvenir d’enfance autre que mon imagination et les souvenirs de mes lectures. Pour moi, le Japon, c’étaient des maisons en bois, des jardins, la cĂ©rĂ©monie du thĂ© et les kimonos, le tout enveloppĂ© dans de la musique de koto. VoilĂ , ça, c’est le Japon de mes 5 ans, en 1970. Puis il y a eu les films, les romans, la musique, l’apprentissage de la langue. Lors de mon premier sĂ©jour ici, lors de mon deuxiĂšme jour Ă  TĂŽkyĂŽ, j’ai cru que j’allais devenir fou, alors j’ai achetĂ© un vĂ©lo. Et puis il y a eu KyĂŽto, et j’ai compris un peu mieux ce qui m’entourait. Je suis revenu plusieurs fois et chaque fois une facette diffĂ©rente s’est prĂ©sentĂ©e Ă  moi.
Quand je suis venu en 2006, c’est Ă  Iidabashi que je me suis installĂ©, mais toutes ces bourgeoises prĂ©tentieuses dans ce quartier soit disant français m’insupportaient. Je ne voyais pas trĂšs bien pourquoi je devrais me faire Ă  une simili-France alors que je venais de quitter Paris.
Et ainsi, quand j’ai trouvĂ© mon appartement Ă  Kasai, totalement par hasard, ma premiĂšre traversĂ©e du grand pont sur la riviĂšre Ara a Ă©tĂ© une rĂ©vĂ©lation. Kasai est situĂ© dans l’arrondissement de Edogawa, Ă  l’est. Le ciel s’ouvrait, j’aperçu des immeubles rĂ©cents, un peu comme une ville de premiĂšre couronne, un peu comme AsniĂšres oĂč j’avais habitĂ© 2 ans. Kasai, bien que trĂšs proche de Nihonbashi (45 minutes Ă  vĂ©lo), Ă©tait un peu loin, mais en rĂ©alitĂ©, vivre par lĂ  et circuler dans la ville Ă  vĂ©lo m’ont appris TĂŽkyĂŽ. J’ai dĂ©couvert les vieux quartiers, je me suis coulĂ© dans leur rythme et, Ă  dĂ©faut d’une enfance, j’ai vĂ©cu ma transition en maturitĂ© dans le rythme totalement japonais des quartiers de l’Est. Quel Ă©tranger connait comme moi Monzen Nakacho, et le parc de Kiba, et Ningyocho, et Asakusa Bashi, et Kameido, et Tsukishima, et Ryogoku, et Iriya, et Yanaka, et Shibamata, et
 Pas comme un touriste, je veux dire, les connaĂźtre dans une expĂ©rience banale, Ă  vĂ©lo, Ă  pieds, aux diffĂ©rentes saisons, ces quartiers oĂč les gens se connaissent, se parlent, oĂč l’on organise les matsuri les plus populaires du Kantî
 J’ai vu pousser Sky Tree, j’en ai partagĂ© la progression avec les habitants de l’Est, sorte de revanche de ces quartiers qui sont la vraie racine de la ville quand l’ouest n’étaient que champs et relais. Je suis tombĂ© amoureux de l’est quand j’ai dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Kasai, en traversant l’arrondissement de KĂŽtĂŽ Ku. Le soir. Le parc de Kiba m’est apparu Ă  la suite d’une rue commerçante vers Monzen, et lĂ , j’ai tout de suite compris que j’allais vivre de grandes aventures. Je n’ai pas Ă©tĂ© déçu.
Mon dĂ©mĂ©nagement Ă  Asakusa a Ă©tĂ© une autre histoire, je pense que vous vous en souvenez. Non pas un choix, mais une suite de circonstances, et je ne me plaints pas. Je vis dans une vieille maison sombre quand mon appartement Ă  Kasai Ă©tait moderne et clair. Mais 15 minutes Ă  vĂ©lo de Ginza, je trouve ça sympa, et chaque lundi, quand je reviens de Kawasaki, j’ai pris l’habitude de faire les courses dans un supermarchĂ© en face du SensĂŽ-ji. Il doit bien y avoir 2 Ă  3 millions de personnes sur terre qui aimeraient partager cette expĂ©rience

Vivre dans ces quartiers m’a donnĂ© de trĂšs profondes racines, une expĂ©rience physique, gĂ©ographique mais aussi sentimentale de la ville et du pays. Les vieilles qui arrosent leurs plantes et que l’on voit parfois dans des programmes dĂ©biles Ă  la tĂ©lĂ©vision ne sont pas pour moi des clichĂ©s, mais bel et bien une expĂ©rience quasi-quotidienne. Je connais leurs voix, je connais leurs habitudes et il m’est arrivĂ© de taper la causette.
Pierre a partagĂ© cette expĂ©rience, et bien d’autres d’ailleurs.
Je suis donc attachĂ© Ă  ma vie ici, elle a créé ce lien de presque famille avec les pays. J’ai mes habitudes dans pas mal d’endroits, et cela restera. Beaucoup d’étrangers ici ont une expĂ©rience trĂšs superficielle de la ville et du pays. Ce n’est pas un reproche, c’est juste que ce pays est souvent un pays de passage et que leur choix s’est portĂ© sur leur travail, ou le voyage lui-mĂȘme. J’aime donc et ma maison, et mon quartier.
Pierre me suggĂ©rait pourtant que je devrais peut ĂȘtre penser Ă  bouger. L’idĂ©e avance.
Oui, il y aura un moment oĂč je devrai quitter cette famille-familiaritĂ©. Depuis un an je retourne rĂ©guliĂšrement la question, et plus qu’une question de prix, le problĂšme est que je connais trop bien TĂŽkyĂŽ. La ville dĂ©borde de quartiers aux saveurs diffĂ©rentes, il faut donc choisir son quartier en fonction de la vie Ă  laquelle on aspire. Est-ce que je veux de la verdure ou de la verdure urbaine, bref Setagaya ou BunkyĂŽ? Est-ce que je veux de la ville ville ou de la ville grouillante, bref Meguro ou Shinjuku? Est-ce que je veux du ciel ou des maison, etc etc Pour moi le choix n’est pas trĂšs simple. J’aime KĂŽenji, j’aime Mejiro/ Waseda, j’aime Ochanomizu/ Kanda, j’aime vers la gare JR Yoyogi, j’aime… En fait, j’aimerais un quartier non pas ressemblant Ă  Paris, un fake, mais un quartier qui m’offre ce qui fait le cĂŽtĂ© pratique de Paris, tout Ă  portĂ©e de main. Pierre a optĂ© pour Sangenjaya chaque fois qu’il vient ici. Il faudra voir. J’aime bien Shimokitazawa, en fait. C’est trĂšs jeune, entre Shibuya et KichijĂŽji…

Cette semaine, le temps Ă©tait trĂšs beau, mais aujourd’hui cela s’est rafraĂźchi et il pleuvote. Dans une semaine, je suis en vacances, je n’en reviens pas. En fait, je voulais aller Ă  Alger, mais cela m’est impossible : mon passeport a dĂ©sormais moins de 6 mois, je ne peux pas sortir du Japon, et l’ambassade a un service de renouvellement digne du tiers monde, avec rendez-vous, etc
Le weekend qui arrive va ĂȘtre un peu particulier. Je ne suis plus avec Jun, et je ne peux pas trop compter sur Nori pour aller se promener. Je suis seul avec moi-mĂȘme et je vais donc m’occuper, faire des trucs que j’ai envie de faire. J’aimerais aller Ă  Ebisu au musĂ©e de la photographie, par exemple. Ou bien aller Ă  Kamakura. Les possibilitĂ©s sont immenses.

Nori m’a finalement réécrit. Je dĂ©couvre un autre aspect de sa personnalitĂ©, il est susceptible. Mais il fait montre d’une rĂ©elle bonne volontĂ©.
J’ai eu droit Ă  beaucoup de rĂ©actions Ă  mon billet d’hier. Quelqu’un m’a dit que jusqu’Ă  prĂ©sent je donnais l’apparence de quelqu’un de beaucoup plus solide. On me dit souvent cela, mais j’ai en rĂ©alitĂ© une carapace trĂšs forte et de trĂšs fortes capacitĂ©s d’auto-protection, je sais faire semblant. Mais je suis assez pimprenelle aussi. Disons que dans cette histoire, j’ai jouĂ© la rĂ©alitĂ© des sentiments, avec aussi une rĂ©elle luciditĂ©. Je n’ai rien Ă  perdre, c’est un choix, c’est une question de foi. Je l’aime, et c’est tout.
On m’a dit aussi que je m’illusionne, que cette histoire ne va nulle part. Mais c’est oublier que je suis un peu dix-huitiĂ©miste, nourri de ces romans et piĂšces de CrĂ©billon, de Mariveau quand ce n’est pas Paul et Virginie, Manon Lescaux ou, le chef d’Ɠuvre du genre, La Nouvelle Eloise. Qu’est-ce que l’amour si vous n’ĂȘtes pas prĂȘts Ă  donner sans vous soucier de ne rien recevoir? Ce n’est pas de l’amour, mais de la comptabilitĂ©. Ce que je vis est rĂ©el, et pour tout dire, je pense que mes sentiments sont partagĂ©s, il y a juste que le timing, les circonstances rendent l’histoire plus qu’alĂ©atoire.
Et alors ?
Jamais, jamais je ne trahirai le petit garçon en moi, je l’ai suffisamment Ă©corchĂ© dans ma jeunesse. Dans cette histoire, c’est l’adulte qui morfle, mais le gamin en moi est, et c’est surprenant, trĂšs heureux. Peut ĂȘtre le petit garçon en moi se lassera-t-il, peut ĂȘtre se laissera-t-il convaincre par ce que l’on appelle la rĂ©alitĂ©. Mais comme je vous le dit, je n’ai rien Ă  perdre du tout. Au contraire, aprĂšs un endormissement peut ĂȘtre nĂ©cessaire de huit annĂ©es, j’aborde la derniĂšre Ă©tape de ma vie avec mes sens Ă©veillĂ©s, et je vous raconte tout cela en faisant de la vie un roman.
Un roman de gare, certes, avec beaucoup d’eau de rose, sans fausse pudeurs ni sentiments rĂ©trĂ©cis. Tel que cela me vient. Et j’aime cela, et que tout cela se passe parce que j’ai rencontrĂ© pour la premiĂšre fois quelqu’un qui ne se laisse pas attraper facilement me ravit et me permet d’oublier que l’autre passe des heures devant un ordinateur Ă  jouer en ligne, mais quelle inculture, quelle bĂȘtise quand on partage sa vie avec quelqu’un d’aussi vivant que Nori. Pas Ă©tonnant qu’il aille voir ailleurs.
Je ne sais pas, donc, quelle est la rĂ©alitĂ© de ma relation avec lui. On verra bien. Je suis ouvert jusqu’au mariage car c’est le bon. Moi, j’avance, je fais ce que j’ai Ă  faire. Peut ĂȘtre demain vais-je recevoir ce courrier que j’attends et qui va peut ĂȘtre me conduire Ă  poser la question simple qui Ă©claircira bien des choses.

IMG_3928En attendant, la golden week approche, avec pour moi quelques jours de congĂ©s et je l’espĂšre du beau temps. Je pense que le mois de mai sera propice Ă  savoir oĂč tout cela en est. Il fera beau, j’aurai dĂ©finitivement digĂ©rĂ© ma sĂ©paration avec Jun, pris mes marques dans une vie solitaire, taillĂ© mes moustaches. Ce sera Ă  lui de choisir de suivre. Moi, je suis en train de prendre mon envol. À l’horizon, j’ai 60 ans. Et les nombreux messages que j’ai reçus hier et aujourd’hui ainsi que ce sĂ©jour Ă  Paris en dĂ©cembre attestent que j’ai des amis qui m’aiment et qui m’accompagnent, doutent mais me font confiance. Je reste persuadĂ© que je ne me trompe pas. Je donne, je sais que je recevrai. Quand je suis revenu de France, Ă  Dubai, quand j’ai fait cette photo plein pied, je pensais ceci : je veux donner sa chance Ă  Nori. J’ai choisi, et je ne changerai pas d’avis.
Ne me parlez pas des Ă©lections en AlgĂ©rie…
Bonnes fĂȘtes de PĂąques pour celles et ceux pour qui c’est important.
Madjid

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