Vous savez quoi ? J’écoute Vivaldi !!!

V

Un peu tard le matin, le soleil brille sur Tôkyô, il fait doux. Dans mon quartier les cerisiers fleurissent et j’ai découvert que la rue qui mène à la maison en est bordée : quelle chance cela va t-être dès ce milieu de semaine !
La semaine commence bien. Je suis en train de prendre mon petit déjeuner, assis sur le tapis devant mon canapé. En fond sonore, des concertos de Vivaldi, Carmignola au violon avec l’Orchestre Baroque de Venise.
Depuis l’enfance, Vivaldi a été comme un refuge, sa musique m’exprime mieux que moi même je ne le ferai jamais. Il est bavard, cassant, terriblement vivant, débordant. Dedans l’enfance, les « saisons » achetées au hazard sur les boulevards avec ma mère, j’avais alors peut-être 9 ans, et que nous lisions sur l’espèce de mammouth à lampe que mes parents avaient acheté d’occasion pour avoir un peu de musique à la maison et qui fut remplacé un peu plus tard par un électrophone stéréo : il m’arrivait de m’installer religieusement au milieu des deux enceintes pour essayer de saisir quelque chose en plus, je rêvais devant les chaînes « hifi » du Conforama et un jour je tombai sur une brochure avec des photos d’un matériel qu’il n’y avait pas au Conforama et qui parlaient d' »audiophilie », de matériel qui permet de mieux retrouver la sonorité des instruments… J’ai commencé à faire de la flûte traversière à 11 ans avec monsieur Labvros Caravassilis. On m’a offert pour un noêl les concertos Op. 10 et le noêl d’après les concertos pour Piccolo, les deux interprétés par Maxence Larrieu. Monsieur Caravassilis me reprochait de trop bouger quand je jouais. C’est moi pourtant qui avait raison, mais ça, à l’époque, je ne pouvais pas le savoir…
La musique de Vivaldi, à l’époque, c’étaient quelques enregistrements, souvent interprétés par I Musici ou I Solisti Veneti. Karajan aussi s’y était essayé. Une musique élégante. Pourtant, ce que j’y aimais n’était pas cette élégance et cette douceur des violons. C’était plutôt la présence d’une guitare cachée au milieu de l’orchestre et, si souvent, cette cassure d’une mélodie pleine d’entrain, ces 10 à 15 secondes de fragilité ou de tristesse profonde qui m’arrachait des larmes : je sentais au coeur de cette musique une infinie violence de sentiments que pourtant l’interprétation s’efforçait de gommer…
Jamais je n’ai fait mal à quelqu’un comme j’en ai fait à Monsieur Caravassilis qu’en ne me rendant pas au concert de fin d’année. Je jouais en trio, il a attendu jusqu’au bout : il me faisais confiance. Jamais moi-même je ne me suis fais aussi mal que ce jour là, mais je ne l’ai compris que plus tard. Ce qui m’est arrivé depuis n’est rien en comparaison, peut-être même cela est il l’effet de cela… Allez savoir… J’allais avoir 18 ans…
Le jeune rocker a au tournant de ses 20/21 ans, vers 1986, mis la main sur une chaîne « hifi » des années 70. J’habitais seul. Il n’étais plus très rocker et avait envie de varier ses plaisirs.
Je me suis acheté des disques parmi lesquels des concertos de Bachs (2, 3 et 4 clavecins). Une interprétation en béton : Raymond Leppard ! Faisant la rencontre d’un gars qui aimait la musique, je l’invite chez moi et je mets le disque sur la platine. Il me demande de retirer immédiatement le disque, me dit qu’il préfèrerait encore que ce soit du piano. J’allais rentrer de plein pied dans une guerre qui faisait rage et dont j’ignorais tout vu mon jeune âge et mon origine socio-culturelle.
Le lendemain, je m’aventurais chez Joseph Gibert décidé à trouver, d’occasion, un de ces enregistrements « sur instruments anciens », assez sceptique. J’achetais un disque avec une couverture vulgaire, argentée, un Éole soufflant son vent dévastateur. Trevor Pinnock, The English Concert. Il y avait un Diapason d’Or, un Choc de la Musique, un R de Répertoire. C’était l’oeuvre que je connaissais le mieux dans ma piètre culture musicale : les 4 saisons, Vivaldi.
Je mis le disque sur la platine. Ma première réaction a été de détester, vraiment. Non, mais qu’est ce que c’est que ces sagouins qui accélèrent à tout bout de champs (32 minutes le tout au lieu des classiques 50 minutes…), et ces sons qui grinçaient dans tous les sens… Pourtant, alors que je raccrochais mon téléphone après une conversation où je faisais part de ma déception après un mauvais achat, quel ne fut pas mon choc en découvrant que l’on pouvait exprimer un orage, le vent, la chaleur et la violence. Je restais sans voix, je me mis à pleurer, j’étouffais vraiment : pour la première fois, j’écoutais ce que j’avais toujours entendu dans cette musique et que les interprètes s’étaient évertués à me dissimuler dans tant d’interprétation édulcorées.
Vivaldi était un compositeur violent.
Voilà, j’avais mis un pied dans un territoire nouveau qui allait donner un sens à ma vie. C’est de ce choc que j’ai puisé d’abord une curiosité vague pour une époque, puis l’énergie de reprendre des études à l’Université, quelques 7 ans plus tard, après m’être imprégné de cette culture du 17ème et du 18ème siècle, la culture Baroque.
Aujourd’hui, des oeuvres de Vivaldi, j’en ai plus que de raison ! C’est qu’il en a écrit, de la musique, et c’est que les interprètes baroques ne se privent pas. C’est ainsi que le label Opus 111 enregistre une « intégrale Vivaldi », un projet ambitieux qui coure sur pas moins de 10 ans : concertos, sonates, opéras, oratorios et messes…
Vivaldi est aujourd’hui ma maison. Il continue de me surprendre. Il était à la fois farceur, tendre et cruel et, comme le veut le style de son temps, inattendu. Très loin de cette « élégance » de répondeur téléphonique. Les instruments anciens, mais aussi l’interprétation « à l’ancienne » restituent ces sentiments à merveille, ce qui est assez logique, finalement.
J’écoute Vivaldi, du dehors rentre un grand soleil. J’ai ouvert la fenêtre, le bruit du métro et des voitures emplit la maison, le vent fait bouger les rideaux. J’écris. Un violoncelle gambade allègrement en racontant ses histoires à ses copains les violons qui ne manquent pas de répondre, objecter et parfois soulever quelques questions hardues. Ce n’est pas grave : c’est un concerto et c’est donc le violoncelle qui aura le dernier mot !
De Tôkyô,
le disque terminé,
Suppaiku

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