Yoyo…


Un très joli parc au nord de Tôkyô, 六義園/ Rikugien, dimanche dernier en début d’après-midi. Les teintes de l’automne, bientôt celles de l’extrème limite, le rouge des érables et puis, sans qu’on s’en soit vraiment rendu compte, la désolation de l’hiver dont la chute vertigineuse des températures nous donne, déjà, comme un avant goût.

Sur Tôkyô, le temps est plutôt beau en ce moment. Il y a bien quelques passages nuageux, leurs pluies sporadiques mais, dans l’ensemble, le ciel est très clair.
J’envoyais un mail hier à mes amis, bien au chaud dans le métro, et je m’exprimais ainsi,
« Il fait froid… moins que chez vous mais la nuit on descend a 3 degres… On a toutefois du soleil, ca aide. Et du grand soleil d’hiver… Je suis dans le metro, je viens de franchir le pont de la riviere Ara: la mer sur la baie est couleur de plomb, un gris profond. C’est vraiment l’hivers.
Beaucoup de travail de prepartion a l’ecole mais ca se passe bien. J’ai eu vraiment tres peur. Financierement c’est hard mais eclaircie en vue. Mon nouveau poste est mieux paye. A partir de janvier… Nova me doit 3000 Euros. J’en recupererai 80% dans 6/8 mois.
Je ne travaille pas le dimanche. De mon experience, je suis maintenant contre le travail du dimanche et les jours feries et meme la nuit: vivre c’est d’abord partager. Depuis un an j’etais prive du rythme de la societe, de la tranquilite du temps arrete du dimanche et des cris d’enfants dans les parcs. Du vrai repos du temps arrete dont on est prive quand on se « repose » en semaine. Mon ecole est dans un quartier « normal » de Tokyo. Je commence a avoir des envies de demenagement. Peut etre pour l’ete prochain. Un appartement plus proche de l’ecole, plus « central ». Mais la ville est si vaste et les ambiances y sont si differentes… J’ai le temps avant d’avoir le coup de foudre. Et puis ca coute cher… Mais en fait cette histoire m’a donne le sentiment de la duree… Je fait des projets. Le nouvel an, ce sera, encore, Kyoto.
Je me dis qu’a 42 ans je ressemble au reve que je faisais en pensant a moi, plus tard. J’enseigne, je vis au Japon, j’ai un copain…
Bon, ecrire avec un mobile c’est pas evident! Bonjour a Londres, Marcq-en-Bareuil, a Choisy-le-Roy et Ris-Orangis, a Lisbonne.
Bises de Tokyo
Suppaiku »
Je vous le laisse tel quel, sans les accents bien sûr puisque mon keitai en est dépourvu, ni aucune correction d’aucune sorte malgré le style propre aux emails envoyés sur un portable, ce style un peu concis-excusez-moi-ça-fait-mal-au-doigts-de-taper-avec-
deux-doigts-mais -j-essais-de-faire-des-phrase-quand-même.
J’ai titré « yoyo » parce que l’école, ce n’est pas tout rose non plus. Ben, disons qu’on n’a pas rien sans rien… (ou le contraire, ôtez-moi ce doute…). Je passe pas mal de temps à éplucher un « manuel », à préparer mes cours à partir de ce « manuel » (dont le style et l’usage ne sont pas toujours évidents puisqu’il n’y a aucun guide d’objectifs léxicaux ni grammaticaux et qu’un parti pris pour le « français parlé » oblige à calquer l’expression sur ledit manuel : « est-ce que vous allez au cinéma ? »; on ne parle plus vraiment comme ça, la forme en est-ce que tombant en désuétude au profit du style direct…), bref, pas mal de travail et finalement, le baptème du feu en ce moment, avec ses hauts et bien sûr ces bas : j’en ai accumulé 2 hier et cela me met le moral au plus bas (d’où le yoyo). Le stress accumulé ces deux derniers mois à NOVA n’aide pas, loin de là… J’ai l’impression d’avoir perdu mon sourire hier soir, j’ai refait des rêves étranges… Le matin, j’ai fait un « pâté » : le prof qui parle beaucoup. My mistake, un cours non maîtrisé. Le soir, une élève qui s’est plainte, elle ne me comprenait pas. Et c’est vrai que, focalisé sur l’épluchage des leçons, sur le bon déroulement de la leçon lié à cette bonne préparation j’ai oublié un truc dans la « méthode », et l’étudiante s’est estimée lèsée. Elle s’est plainte.
J’ai bien entendu eu une discussion avec le directeur dont j’ai bien entendu accepté les explications d’autant qu’elles étaient fondées (j’ai mal fait un truc…), et j’ai eu droit aussi au rappel du motif pour lequel il s’est séparé d’un de ses professeurs. Une étudiante s’est elle aussi plainte une fois à NOVA, une seule fois (c’est un bon chiffre). La différence est que toutefois, à NOVA, après un brieffing/rebrieffing assez fastidieux, la conversation s’est conclue par un « ce n’est pas grave, j’ai aussi eu de bons retours ». Cela n’a pas été le cas hier soir et cela me donne l’impression d’être sur un siège éjectable. J’ai déjà accepté d’être « sous payé » deux mois (ma période d’essai) et d’avoir un statut (vacataire) extrèmement précaire, ça accroit l’impression… Bref, sur cette « mésaventure », je ne concluerai pas que « c’est la vie »… Je repense à Odile, à sa façon de voir les choses. Je crois qu’elle voit juste.

Même parc que précédemment. Ne pas travailler le dimanche, c’est partager le rythme commun.

Elle va arrêter de travailler en janvier. Alzeimer. Ca me fiche une peine pas possible de savoir qu’elle va quitter BNPP, le travail. Ca a été une femme active, elle a toujours travaillé et d’ailleurs elle travaille toujours malgré la maladie qui avance, avec ses rémissions et ses retours. Elle m’expliquait la dernière fois que depuis un an toutefois, malgré une augmentation régulière des doses, son traitement avait cessé d’agir efficacement, qu’elle était de nouveau prise par cette sensation de ralentissement, qu’un rien la fatiguait nerveusement, le transport, l’agressivité des gens dans les espaces publics. Je revois cette femme, sa démarche ralentie, ses gestes comme mesurés et puis parfois aussi ces poussées d’énergie, ses éclats de rire. Et aussi, son intelligence du métier, son esprit analytique précis, sa façon de poser un « produit » (une transaction) à plat pour en saisir la logique, trouver la faille. On s’entendait bien car j’ai cet esprit là, aussi, mais mois en sens inverse, moi, j’ai plutôt l’esprit déductif. Tous les deux, on a résolu pas mal d’incidents récurents car après qu’elle ait eu expliqué la mécanique, je replaçais ladite transaction dans son contexte global et je déduisait assez rapidement des évènements possibles. Le tout alternant avec des conversations sur la musique baroque ou tel ou tel écrivain, notre pose thé l’après-midi. Nous n’allions pas à la machine à café, non. Et puis, sur l’histoire du produit, Odile, c’était une mine : elle a vu les swaps et les forex dans leur berceaux, quand ce n’étaient encore que des documents papiers, un peu inédits, avant qu’ils ne se démultiplient en ces millions de transactions quotidiennes qui font que la masse de papier en circulation représente à peu près cent fois la richesse réelle.
Le capitalisme financier, c’est un métier palpitant car il raconte mieux que beaucoup de choses ce qu’est l’histoire des hommes. Si vous en avez l’occasion, visitez un jour une salle des marchés. Celle d’une grande banque, un grand plateau ordinaire, avec des centaines de traders excités devant leurs 4 écrans qu’habitent des courbes, des dépêches et des programmes eux même inscrustés de courbes, fromages et écrans de saisies, occupés en permanence à téléphoner et recevoir un, deux, trois coups de fils, leurs bureaux encombrés de papier brouillons sur lesquels ils dessinent des trucs aléatoires avec le stylo qu’ils machonnent, ces traders qui parfois d’un coup s’interpellent, une agitation se créée, ou alors qui ne s’interpellent pas mais avertissent discrètement ceux de leur équipe, on est en concurrence aussi, ici : les amis ne comptent pas dans ce monde de l’instantanné, du meilleurs prix/pris, de la marge calculée au millième près; et puis il y a ce flot d’informations en continu, déversées sans arrêt par les écrans plasma, BBC News-CNN-Bloomberg-LCI…, le monde qui se répend dans cet espace de l’économie réelle du monde : ici, on ne décide rien, mais on créée la richesse de ceux qui décideront demain si vous gardez votre emploi ou pas.

J’ai adoré travailler en salle des marchés. Ca va vite, et cette vitesse est le coeur de la tragédie humaine. La première fois, j’ai repensé à la faillite des Bardi, cette famille dont on étudie (étudiait?) la banqueroute au 14ème siècle, à Paris, en DEUG. Ils prêtaient de l’argent à l’Europe entière et puis, au 14ème siècle, inflation, dévaluation et insolvabilité des grandes couronnes (la Française, l’Anglaise) et voilà qu’un « comptoir » fait faillite et avec c’est toute la maison qui est tombée. A cette époque, le capitalisme se contentait des lettres de cachet (ancètre du compte chèque moderne, doublé d’une possibilité de rachat du cachet à un prix différent de sa valeur), les emprunts et les contrats de commerce (ancètres lointains des « futurs » : les marchants finançaient l’armement d’un bateau, les marchandises rembourseraient les frais…). Les Bardis ont fait faillite, les Médicis ont inventé la filiale ! Que l’une d’elle fasse faillite, cela ne gène en rien le reste de la société! Nous de cessons depuis des centaines d’année d’anticiper notre richesse à venir et nous avons fait de cette anticipation le coeur même du monde présent. Ca donne le vertige : il faudra bien rembourser un jour… Ca s’appelle un Krach. C’est la dernière obsession de Rocard le schizophrène (cette hantise ne l’empêche pas de remettre bientôt un rapport à Sarkosy).
Tout ça pour dire qu’avec du recul… c’est Odile qui a raison, ma psy disait la même chose et mon père avant elles. Comme dit ma mère, »c’est toi qui voit ». J’y vois très clair.


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