1982, Cocteau Twins. Peppermint Pig.

Je retrouve le gout des origines. Mes origines, mon histoire, l’origine et l’histoire de ce blog. C’est fini, le Japon?

(video non originale)
C’est en 1982 que sortit Garland, le premier album de Cocteau Twins, l’un des groupes les plus mal connus et pourtant l’un des plus important des années 80. Je le tiens pour le chaînon manquant qui relie les années 70, la New Wave des années 77/80 à la musique que l’on produit de nos jours dans le domaine de la pop, pour le meilleur et pour le pire.
J’ai arrêté de suivre ce groupe à partir de 1984, d’abord par ce que toute cette scène me semblait stagner dans une esthétique figée, mais chaque fois qu’il m’est arrivé d’écouter un quelconque de leurs morceaux, je n’ai pu que constater à quel point ce quasi-duo était différent.
C’est incroyable les qualificatifs dont les gens ont besoin pour décrire un groupe : la page Wikipédia en regorge, à l’image de cette dérive que je constatai dans le public dans le milieu des années 80. Le plus idiot étant bien entendu celui de gothique. Cocteau Twins, gothique… Mais quelle bêtise…
En fait, pour parler de cette époque de l’histoire de la pop, il faut la diviser en deux parties. La New Wave, qui va en gros de 1976 à 1980 où arrivent tous à leur apogée et enregistrent leurs albums les plus mythiques. Et puis ce que j’appelle la Second Wave, qui démarre vers 1981-82 et continue jusque 1984. Pour moi, tout ce qui suit vit sur les acquis de cette période à travers des fusions d’influences divers avec des époques qui précédent mais que justement la Second Wave a inauguré.

La New Wave, ce sont les grand frères et les grandes sœurs. Une énergie incroyable a secoué le rock dans la seconde moitié des années 70, chacun a voulu avoir son groupe, la musique a offert un dérivatif incroyable à la fin des illusions politiques. La culture s’est soudain faite urbaine après l’exploration baba cool. Les jeunes du baby boom ont imposé leur culture à la société, et les plus jeunes ont voulu revivre l’explosion de leur aînés. L’horizon indépassable de cette époque se transfert vers les années 50/60, James Dean… Le film American Graffity inaugure ce processus long qui vers 1976 arrive à maturité. On veut refaire du rock and roll, on veut se couper les cheveux, on veut être Mods. Le ska se répand dans les quartiers pauvres de l’Angleterre. David Bowie, Soft Machine, Gary Glitter, Télévision ou Roxy Music ont bousculé les codes au début de la décennie. On peut être pute et chic, afficher une masculinité androgyne avec outrance, les codes bourgeois ont volé en éclat. Et tout cela se fait sans que l’ombre d’une idéologie politique ne s’exprime. En fait, c’est même cette génération qui va porter Thatcher ou Reagan au pouvoir.
La New Wave et donc le résultat de cette immense et intense créativité sans limites qui traverse l’Angleterre ainsi que la France.
Ce télescopage produit des codes vestimentaires changeant, variés. On fouille dans les friperies, cinquante ans d’histoire du vêtement viennent servir le courant. C’est pas cher. Ludique. Les bandes de jeunes inventent leur style. Il faut lire La Zone ou bien Paris Skouille t-il pour bien saisir ce qui se passe à ce moment là. Devo, XTC, Simple Minds, The Cure, Ultravox, et beaucoup d’autres commencent à tourner pendant que de plus vieux profitent de cette énergie pour approfondir leurs intuitions. Kraftwerk, The Stranglers.
Avec Faith, The Cure signe en 1980 son chef d’œuvre devant l’éternité, avant en 1981 de sortir Faith, l’un des plus beaux albums de tous les temps, juste parfait. Pornography, c’est une autre affaire, c’est un peu plus compliqué… Après, c’est simplement nul. Avec Kaléidoscope, Siousxie signe en 1980 un album original, New Wave au sens propre du terme, varié, sans y jouer ce rôle de prêtresse dans lequel elle s’est enfermée. Toutefois, Juju sorti en 1981, est son plus bel album avec de magnifiques chansons. Ian Curtis se suicide en 1980, après que Joy Division ait eu le temps d’enregistrer Closer. Un bijou, sombre. Et le premier album de New Order en 1981 reste sans nul doute le plus abouti des albums de Joy Division, le plus joli. Je veux dire « vraiment » joli. Même Human League après avoir sorti un fantastique Reproduction en 1979, continua d’enregistrer de fantastiques morceaux jusque Dare, en 1981. Seconds est un petit bijou de techno-pop cold.
Ah, la cold, cette excroissance sombre de la New Wave, apparue sans crier gare justement avec tous ces albums mythiques sortis entre 1979 et 1981, ce croisement hybride du post-punk et du Pink Floyd première mouture, ce chemin expérimental placé sous l’œil mythique de la Factory de Warhol, où se mêlent esthétique, peinture, danse et musique. Einsurstande Neuebauten en Allemagne, Cabaret Voltaire au Royaume Uni ou SPK en Australie, l’esthétique du rock industriel a inspiré tous ces groupes livrant des synthèses étonnantes, comme DAF ou Die Krupps en Allemagne, Sisters of Mercy en Australie encore, Wall of Voodoo aux USA et jusqu’à notre Lucrate Milk parisien.
Ça peut vous paraître bien snob d’étaler tant de ces groupes dont j’ai écouté les premiers albums, souvent à l’époque de leur sortie, ou juste quelques années après. Mais je lis tellement de bêtises sur « la cold », le « gothique », l’ « indus’ ». C’était tellement plus simple à cette époque là. Tout d’abord, quasiment personne n’écoutait cela, il fallait être au courant, « branché ». Ensuite il fallait avoir le courage de sa dégaine car entre les baba cols et les professeurs revenus de 68 qui vous dégoutaient à tout jamais d’oser écouter David Bowie ou The Doors, ce n’était pas très amusant de se faire traiter de facho juste parce qu’on aimait écouter du rock et avoir les cheveux courts…
À 15 ans, je regardais ces grands avec envie, je me suis mis à me gaver de leur musique sans même savoir ni même être en mesure de comprendre que cette explosion appelée New Wave trouvait sa source dans ces si détestées années 70 dont nous ne voyions que les restes, des profs ringards, des babas à cheveux longs parlant de révolution un joint à la main. Je me souviens, le lycée de Bondy, le groupe d’autonomes. Des fils à papa mais qui remuaient le ronron de cette ville de banlieue.
Je menais une sorte de vie double. Pas une double vie. Une vie double. Celle de rocker et celle de pédé, je tachais de les mêler de mon mieux. J’étais asocial dans les environnements où je ne connaissais personnes, je crevais d’une timidité maladive devant les mecs dans les clubs gay.
J’appartiens à la Second Wave. Les Doors, Bowie, tout ça, pour moi, c’était vieux et bab’. Mais j’écoutais tout ce qui pouvais se faire des groupes New Wave. C’est ça, la différence entre ce que j’appelle Second Wave et la New Wave.
Je suis vite tombé dans The Cure, j’aimais des trucs aussi variés que Spear of Destiny ou Au Pairs, les Résidents ou Eyeless ni Gaza.

Le premier groupe qui se détacha très nettement de la New Wave reste à mes yeux Cocteau Twins. Il y avait bien sûr Danse Society, imprégnés de Simple Minds, ou Christian Death, ce groupe émergeant des concerts d’un petit club londonien, The Batcave.
Mais Cocteau Twins était très différent. Cocteau Twins allait devenir le symbole de l’encore petit label 4AD. Le trio allait se distinguer par son approche intimiste, des sons épurés, une libération totale de tout ce qui faisait la Cold Wave. Il est l’un des premiers à s’être émancipé de cette embarrassante tutelle de Joy Division sans en rien renier. Et sa chanteuse, Elisabeth Fraser, ne se prenait pas pour une prêtresse.
Cocteau Twins s’imposait comme un groupe simple.
Si Garland est certainement le plus joli disque qu’ils aient jamais enregistré, tant tout y baigne de l’innocence des débuts et de cette époque, entre New Wave et Second Wave, le single Peppermint Pig fut une rupture totale. Dedans, il y a deux bonnes décennies de musique, et de la voix, de la sonorité des guitares ou des mélodies est sortie une bonne quinzaine d’année de musiques, copiées et recopiées jusqu’à la moelle.

L’original est inégalé. Ce type de synthèse, en 1982, c’était neuf. C’est de la pop à l’état pur, aucune nostalgie d’une époque précédente. Et pour 4AD, le premier groupe dont l’identité forte permit de se hisser au niveau du meilleurs label anglais des années 80. Rien que ça.
Les deux albums qui suivent Peppermint Pig s’enracinent dans ce simple EP qui nous a fait danser en 1983. Au delà des guitares saturées qui en ont inspiré plus d’un se devine la recherche d’un dépouillement qui dépasse celui de la cold et en annonçant la fin. C’est mélancolique et ce n’est pas triste. Très vite, c’est la poésie qui a inspiré le trio au point de nous faire presque sincèrement penser si ces écossais n’étaient pas réellement les enfants jumeaux de Jean Cocteau.
Head over hills reprend les guitares saturées mais dessinent des chansons à la hauteur d’Elisabeth Fraser quand Treasure en 1984 s’annonce comme l’album ultime de l’ébauche sublime que fut Garland : la réinvention de la pop. Si si. Des guitares sèches et la voix tourbillonnante d’Elisabeth Fraser. La cold enfin morte et l’envie de vivre un bonheur intime et délicat. L’autre groupe du label 4AD, Dead can dance opérait la même mue à sa façon, en étant encore plus englué dans un public insupportable.
Comme c’est dommage que le groupe est devenu alors un groupe pour corbeaux ringards, gothiques à la masse et Batcave d’après le Batcave ou pour les futurs fans esthétisants de Martin Margiela. Treasure est un petit bijou de la Second Wave. Tout en beauté, tout simple. Pour moi, c’est le plus bel au revoir que cette scène pouvait m’adresser au moment où j’entrais dans l’ère néo-psychédélique de l’automne 1984. Pour enfin découvrir toute cette musique recouverte d’un voile tabou pour ma génération, les Bowie, Pierre Henry, The Who ou The Doors et même The Beatles et même les Rolling Stones ou James Brown. Enfin, tout cela, bien sûr, entre 1965 et 1968, avant de devenir bab, bien sûr… Avec quelques incursions quand même vers Gary Glitter ou les Rubettes, il fallait bien s’amuser un peu : la cold avait été tellement sérieuse.

C’est cette année là qu’est sorti le plus beau bijou de 4AD ever. Le label voulait promouvoir ses groupes et décida d’en assembler les meilleurs. Un premier EP sortit au printemps, Sixteen days/gathering dust, une reprise du groupe Modern English, dont la voix caractéristique du chanteur s’entremêle à celle d’Elisabeth Fraser. Et à l’automne, le sublime et indépassable This’ll end in Tears. This Mortal Coil.
Quand, vers 1997 ou 1998, j’entendis pour la première fois Ray of Light de Madonna, écrit par William Orbit, hormis le fait que j’étais dans les bras d’un allemand magnifique, je me souviens encore avoir pensé que j’avais déjà entendu cela, que c’était « ça ». Une lointaine réminiscence d’un des plus beaux legs des années 80… This Mortal Coil est le premier album des années 2000, un album testamentaire à redécouvrir. Il est le testament d’un label incroyablement imaginatif, mais porte surtout la marque du groupe qui a le plus discrètement qui tourné la page d’une New Wave dans laquelle ses prétendus fans continuent de l’enfermer.

Peppermint Pig comme une des plus importante ruptures opérées par la Second Wave, celle qui amènerait a This Mortal Coil un an plus tard…


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