2020, pour une année (en) politique

Mais face à un désastre, le désarroi est une posture qui m’insupporte. C’est physique.

Lundi, ça a été le retour à une semaine normale. Le matin, je suis allé à ma leçon à Kawasaki, puis rentré chez moi le midi et ensuite allé à Nihonbashi pour ma leçon avec Yûko à trois heures. Exceptionnellement, je suis allé à Kawasaki avec la ligne Keikyu, c’est ma ligne préférée je crois car c’est avec elle que je vais à l’aéroport de Haneda.

Après être rentré, vers quatre heures et demie, j’avoue, je me suis laissé aller à ne rien faire si ce n’est regarder des vidéos sur YouTube. Économie et politique. Des vidéos de Le Média notamment.

J’ai ainsi regardé une très bonne interview de l’un des auteurs du livre « L’illusion du Bloc bourgeois », Stefano Palombarini.

Autant j’ai trouvé son analyse pertinente et autant je la partage, je n’ai d’ailleurs pas eu besoin de lire le livre pour avoir la même idée, aidé en cela par les indispensables vidéos de Henri Guillemin disponibles sur YouTube, particulièrement « L’autre avant-guerre »,  autant je retrouve les éternelles limites de la gauche de la gauche.

Ainsi, par exemple, s’il est vrai que Jean-Luc Mélenchon avait bien cerné la rupture de l’électorat ouvrier avec l’Europe lors du référendum de 2005, et une rupture avec de bonnes raisons, autant qualifier sa stratégie de « Plan B » de bonne stratégie à ce moment tout en regrettant que Mélenchon ne l’ai pas plus développée par la suite relève d’une certaine naïveté car ce « plan B » n’était finalement qu’une formule en l’air dont jamais nous n’avons entendu le moindre détail par la suite, hop, aux oubliettes, et cela a deux reprises puisqu’il nous a refait le coup en 2017.

C’est pour cela que concernant Mélenchon je ne peux m’empêcher de trouver un certain côté mollètiste qui me bloque. Faire de la surenchère verbale à gauche, une surenchère qui finalement ne sera que verbale. Et je dis ça en ayant par ailleurs du respect pour pas mal de ses prises de positions.

Mais sur le sujet de l’Europe, je pense que Varoufakis est celui qui avait vu juste: un « plan B », on n’en parle pas, on le prépare, et même s’il est vrai que côté face Varoufakis acceptait les conditions européennes durant l’année où il était ministre des finances de Grèce, côté pile il préparait la sortie de la Grèce de l’UE, et c’est cela, le seul plan B. Ça lui a valu des accusations de trahison en Grèce, ça a forcé mon admiration car c’est cela, l’intelligence en politique. Nous ne sommes pas en guerre contre des chimères mais contre des forces extrêmement puissantes.

Quand au désarrois de l’auteur, désarrois que je comprends car bien qu’il n’ait pas une seule fois dit que Marine Le Pen était partie pour gagner en 2022, ça suintait grave (et ne pas vouloir reconnaître que sa victoire est acquise, ça m’énerve grave, et il y a tellement de monde qui se voile la face, normal, le futur doit forcément ressembler au passé, hein), et bien que je partage son avis sur le fait que le RN et la LREM sont les deux faces du même bloc bourgeois, un peu comme au Japon le tandem Kômeitô (réactionnaire populaire) et Jimintô (réactionnaire bourgeois), son désarrois politique palpable quand aux solutions envisageables était typique d’une vieille gauche usée. Mais il a raison aussi de pointer que ce qui est le plus inquiétant, c’est que les luttes sociales en cours, pour la première fois, font face à une répression sans précédent tout en se trouvant orphelines de toute représentation politique, ni opposition. Et en effet, c’est là qui peut susciter le plus de craintes.
Il ne le dit pas mais c’est pour moi le vrai danger. On risque d’avoir pour la première fois un « tout sauf Macron » en 2022 que seul le RN parviendra à engranger. Car c’est cela, quand une guerre idéologique est perdue: on est inaudible.

Je ne lui en veux pas de ce désespoir suintant, c’est un intellectuel avant tout et le travail a l’air fouillé et intéressant (je compte lire le bouquin), mais ce désarrois est une posture généralement propre à une certaine gauche. Je dis une certaine gauche, mais ma gauche à moi, elle est morte et enterrée, ce n’est guère reluisant non plus. Mais ce n’est pas bien grave, et puis il y a de quoi être mal, Trump, Borsonaro, Salvini, Farage, Orban, Macron, Johnson…

Mais face à un désastre, le désarroi est une posture qui m’insupporte. C’est physique. Quand la docteure qui m’a annoncé ma séropositivité faisait une tête d’enterrement, enrobant son bavardage de « il faut prendre le temps », « je sais, c’est difficile », « je connais des patients ils ont eu un bébé », moi, le seul truc auquel je pensais était « bon, tu te la ferme, maintenant, et alors maintenant qu’est-ce que je fais », et j’avais beau lui poser la question, elle n’entendait pas. Idem lors du séisme en 2011, je n’ai pas eu peur une seule fois, j’étais en mode automatique de gestion, j’étais dans un groupe où j’étais le seul qui prenait des décisions quand les autres étaient tétanisés.

A quoi ça sert de paniquer quand c’est trop tard, à quoi ça sert d’être abattu quand c’est cuit? Il reste juste à faire ce qu’on a à faire. C’est peut-être ça que j’ai le plus aimé, chez les Gilets Jaunes, ce peu de souci de ce qui arrivera, juste le sentiment qu’il faut faire quelque chose. Et on verra bien, parce que de toute façon, entre ne rien faire et subir et faire, il n’y a rien à perdre de toute façon. Je crois aussi que c’est ça qui m’a le plus attiré chez Stuart Hall, l’intellectuel central des années Thatcher. Le désespoir est la posture préféré d’une certaine gauche quand en réalité, le champs social est vaste et les sujets de contournement et de construction d’un projet politique sont immenses. C’est aussi cela que j’aime chez les militants du PIR et les militants décoloniaux qui bâtissent sans ce soucier des ruines d’une vieille gauche appartenant à un autre siècle et qui de toute façon était passée à côté de pans entiers de la société.

Bon, je vous recommande de regarder ce programme, la première moitié est passionnante, c’est quand ça tourne au non dit, à cette posture du désespoir de la gauche que ça devient insupportable

C’est, dans un autre genre, comme cet article d’Edgar Morin  posté par mon ami Tim. Alors là c’est tout le contraire. Edgar Morin le dit clairement, notre société va tout droit vers une victoire du RN. Et alors que propose-t-il? Trouver un compromis sur la réforme des retraites, parce que les grèves et les gilets jaunes installent un climat qui va aller se détériorant et conduire à la victoire de Marine Le Pen. Une fantastique leçon d’aplat-ventrisme pour classes moyennes redoutant que le monde ne s’effondre et qui ne voient pas que pour plein de monde, déjà, ce monde s’est dors et déjà effondré. À noter que c’est une variante social-démocrate du désespoir de Stefano Palombarini puisqu’il pointe sous une autre forme la même fin de l’hégémonie idéologique de la gauche.

Je n’ai pas pu m’empêcher d’exploser et de commenter comme suit le post Facebook de Tim qui était d’accord avec Morin,

« Tim, la victoire du RN est dors et déjà acquise, indépendamment des Gilets Jaunes ou de cette reforme. On a un gouvernement qui a dors et déjà instauré la force, la répression et le refus des corps intermédiaires ou des contre-pouvoirs comme un art de gouverner, qui enferme les demandeurs d’asile, les laisse crever aux portes des villes, qui va même jusqu’à mettre en doute l’homosexualité de ceux qui demandent l’asile pour cette raison.

Macron est une sorte de Thiers des temps modernes, il est le visage de la réaction de notre temps, ce qui veut dire que si un deuxième tour Mélenchon / Le Pen se produisait, je donne cela en exemple, je ne doute pas un instant que la macronie tomberait à bras ouverts dans les bras de Marine exactement comme en 1940 ses ancêtres politiques avaient accueilli Pétain en sauveur, et pour les mêmes raisons: l’ordre, la capital, le secret des fortunes et les intérêts bien pensés de sa classe.

C’est la faiblesse de ce texte. Je te l’ai dit l’an dernier, Marine a dors et déjà gagné, et c’est la macronie qui lui donne la victoire. La seule vraie question qui mérite d’être posée est celle de sa marge de victoire.

Accuser cette grève ou toute « révolte » est donc se voiler la face car en réalité ces mouvements révèlent des fractures politiques, sociales et économiques déjà à l’oeuvres, d’ailleurs toutes déjà écrites et décrites dans le livre d’Emmanuel Todd, « Qui est Charlie » en 2015.

On a une question subsidiaire, et je te l’avais dit l’an dernier, et c’est la seule vraie question qu’il importe de se poser. Qu’est-ce qu’on fait. On a perdu un an. Il nous reste deux ans pour échapper à la catastrophe.

Mais ce sera tellement confortable d’accuser les Gilets Jaunes, les grévistes, la « violence » ou les bot-russes quand on verra la tête de Marine sur l’écran de France 2. Exactement comme on accuse « le programme de Corbyn » ou « les divisions des démocrates » aux USA sans vouloir voir qu’il y a un problème beaucoup plus profond et qui réclame une réelle réflexion et surtout de prendre des risques, sortir du confort du 20ème siècle et des habitudes.

On a perdu la guerre idéologique parce qu’on a perdu les classes laborieuses qui en ont ras le bol de voir des pédés se marier, des musulmanes et des noirs réussir, l’Europe promouvoir « le progrès » pendant que leur quotidien se dégrade.

Les pauvres voient les classes moyennes aller au rayon bio hésiter entre des pommes de terre non irradiées et des brocolis « 100% compost végétal », des couples pédés middle-class s’embrasser en achetant un gâteau de noël à 50 euros pendant qu’eux n’ont pas d’autre choix que la brique de lait UHT, les produits Marque repère © et la bûche surgelée à 3,99 euros. Ils se sentent tentés de se sentir « normaux, ici chez nous, nous », ils ont envie d’être respectés pour le boulot qu’ils font et non « se sentir méprisés » par les « bobo qui jouent les bourgeois au rayon bio, avec leur trottinette ».

Je te conseille la très belle série documentaire Anywhere but Westminster  réalisée par The Guardian depuis 2015. Une plongée dans un UK que les classes moyennes avaient fini par oublier et qui s’est vengée deux fois, une fois en 2016 et une fois il y a un mois.

Ce n’est pas le programme de Corbyn « trop à gauche » qui est la cause du score décevant du Labour, c’est la remise en cause des résultats du référendum de 2016 par Jeremy Corbyn, car il faut aussi noter que le LibDem a aussi perdu cette élection et qu’il n’est pas parvenu à attirer les électeurs qui pensaient que le Labour était trop à gauche.
Et pour une même raison: une majorité du UK veut voir le Brexit entrer en oeuvre, vite, et leur vote de 2016 respecté.

On assistera au même phénomène aux USA car l’appareil démocrate est usé, middle class intello snob, bourgeois, riche, blanc, coupé de l’Amérique réelle. Et c’est exactement le même phénomène en cours en France, et ça n’a rien à voir avec les grèves.

Au contraire, un compromis s’il y en avait un agira envers ses défenseurs exactement comme pour Corbyn au UK. Une trahison.

On est dans la merde. Pour en sortir, il faut commencer par regarder la situation en face. Mais bon, les hackers russes, ce sera bien plus confortable…»

Je suis en forme, hein. En fait, il y a une chose que Stefano Palombarini dit et qui est très juste, et que je pense depuis un bon moment. Pour battre Macron, il faut trouver le moyen de mettre Macron à droite. Et c’est là où dans l’émission il montre tout son désespoir. Moi, c’est là où j’ai eu envie de le baffer. Parce que sans vouloir me prendre pour je ne sais trop quoi, j’ai une petite idée sur le comment, et c’est très simple. Si si. Très très simple. Je ne vous dirai pas comment, je vais juste y travailler.

A partir de rien, c’est à dire de ce que je suis, où je suis et comme je suis. A partir de rien du tout. Macron son « moment 1985 », quand Thatcher a brisé tout l’espoir. C’est ce qui fait kiffer sa secte et ceux qui l’ont mise en scène. Mais il y a eu Stuart Hall qui avait pensé ce moment et qui nous donne des clés. Il y a plus longtemps il y a eu Mendès-France (ouh la la, Madjid nous prépare une drôle de mixture…) et l’espoir est brisé et s’il ne reste alors plus rien, je suis profondément persuadé que nous avons une incroyable fenêtre de tir politique qui fleurira sur les ruines des utopies politiques du 20ème siècle. Marine Le Pen a dors et déjà gagné, alors, qu’avons nous à perdre…?

Je vous ai écrit l’an dernier que cette année je ferais de la politique. Voici donc un premier billet en guise de préambule à mon retour au militantisme.

Addendum d’une certaine importance
(j’ai fait de petites corrections au commentaire du post de Tim)
(après relecture, j’ai décidé de retirer mon analyse du mouvement social en cours, ma référence à Stuart Hall doit suffire à résumer ce que je pense du moment où nous sommes pour ceux qui connaissent Hall et son analyse des grèves au UK entre 1980 et 1985. Si j’avais été en France, j’aurais accompagné les Gilets Jaunes depuis novembre 2018 – suite au documentaire de France 2. Je suis profondément solidaire du mouvement social en cours.
Toutefois, mon analyse politique de ce mouvements serait anachronique et, je le répète, ma référence à Stuart Hall sera suffisante pour le moment)

(je n’écris rien ici sur l’attaque américaine sur l’Iran, j’y reviendrai dans un autre billet)


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